Sévèrian

Souvenirs d'adolescence - Enseignement :

[ Posté sur le forum GW2RP le 24 novembre 2013 ]

- Bien, reprenons sur Elona. J’espère que tu as écouté la dernière fois. Explique-moi comment le Palawa Joko s’y est pris pour conquérir les terres et…

Encore une leçon soporifique sur l’histoire des continents perdus, la géopolitique de la Kryte, la fondation des royaumes, les guerres, les exodes, la géographie détaillée et que sais-je encore… je détestais ça. Passe encore qu’il m’en enseigne des notions générales, mais ça faisais des mois qu’il me bassinait avec ça à n’en plus pouvoir avec forces détails et dates…

- Sévèrian ! On se réveille ! (il avait frappé du poing sur ma table d’étude) Tu es encore à rêvasser, comment pense-tu faire quand tu seras à l’académie ?!

- … c’est pas en apprenant par cœur les bleds d’Elona que je deviendrai mage, j’en ai marre moi ! Quand est-ce qu’on parle enfin de choses intéressantes, quand est-ce que Theoze va enfin faire son boulot et m’apprendre la magie !

La baffe étais partie avant que j’aie fini ma phrase, sèche, brusque, humiliante plus que douloureuse. Alonso, l’intendant de la maison également chargé de mon éducation générale, me toisait de toute sa hauteur avec un air sévère ; visiblement, j’avais dépassé les bornes cette fois-ci.

- Jeune homme, je te prie de montrer un peu de respect pour ton maître ! Il t’apprendra la magie quand tu seras apte à le faire, mais pour l’instant, tu n’en prends pas le chemin ! Alors, qu’est-ce que je disais sur l’invasion d’Elona ? J’écoute !

***

L’ambiance du soir était plus que morose. Maître Theoze, mon maître et tuteur, ne m’avait pas adressé la parole de toute la soirée. Alonso me lançait un regard lourd de sous-entendus. Je n’avais pas faim et touillait ma soupe d’un geste lent. J’étais là pour apprendre à contrôler la magie, pas pour devenir un historien. Je ne voyais réellement pas pourquoi il portait autant d’intérêt à toutes ces matières annexes. Je voulais qu’on m’apprenne ce qui m’intéressait, je voulais voir, toucher, faire, de la magie. Pas autre chose. Je commençais à regretter le bien fondé de ma décision, à me dire que j’étais très bien avant, mieux, peut-être, avec la bande de traines savates qui étaient mes amis et ne passaient pas leur temps à me reprocher tout ce que je faisais. Je ne comprenais plus vraiment ce que je faisais là.

- Je suis navré, maître, Al’, je monte me coucher. (la cuillère tinta dans l’assiette quand je la reposai) Je me sens pas très bien.

Un silence pesant accompagna ma sortie, mais ils me laissèrent partir sans une remarque. Les escaliers craquèrent doucement à mon passage ; d’habitude, je savais exactement où mettre les pieds pour les en empêcher et c’était devenu un jeu que je réitérais au quotidien, mais ce soir le jeu ne m’amusait pas et je laissais les marches en faire à leur guise. J’arrivais à ma chambre sous les toits, fermait la porte, la bloquait avec une chaise et ouvrit la fenêtre. Dehors, il faisait froid, quelques flocons de neige virevoltaient çà et là, lucioles gracieuses à la lueur de la lune. Une brusque bourrasque en entraina quelques-uns à l’intérieur, me faisant frissonner au passage. Je les regardais fondre sur le parquet et finir leur vie en traçant de petites auréoles humides sur le bois usé. Je retournai sur mes pas et pris un épais pull en laine dans l’armoire, quelques dizaines de pièces de cuivres et une d’argent que je planquai dans mes poches, puis alla enjamber l’embrasure de la fenêtre. Je me retrouvai sur le toit, à trois étages du sol. Je refermai la fenêtre, la bloquait avec une ficelle, et descendis prudemment ; les tuiles étaient glissantes et humide, il fallut que je redouble de précautions pour atteindre le bord, là où, en me servant du rebord des volets, je pouvais atteindre le balcon d’une chambre inutilisée puis, de là, l’arbre mitoyen de notre voisin. Je me retrouvai bientôt dans le jardin et, quelques instants plus tard, dans la rue. Après une rapide inspection de la maison où rien ne bougeait, je dévalai les pavés de la rue en pente pour rejoindre le centre-ville. J’avais toute la nuit pour moi.

***

- Debout ! Réveille-toi ! Tu as une leçon importante aujourd’hui.

Il me fallut un long moment avant que mon esprit accepte d’intégrer le fait qu’il était le matin, qu’il faisait presque jour, et qu’Al’ étais en train de me secouer pour me réveiller. Je ne devais pas avoir plus de deux heures de sommeil derrière moi, autant dire que sortir du lit étais la dernière chose que je désirais. Mais dans cette maison, mieux vaut vouloir discuter avec un ettin que vouloir grappiller quelques minutes de repos en plus. Je me levais donc, la tête encore pleinement envahie des brumes du sommeil, et acceptai avec résignation le froid mordant qui régnait dans la pièce dont le poêle était éteint. Je m’habillais après avoir récupéré mes habits épars et descendis pour un rapide déjeuner.
Je n’avais pas fini ma seconde tartine au miel que maître Theoze fît son apparition à la cuisine. J’en restais estomaqué, lui qu’on ne voyait sortir de son bureau qu’à de rares occasions, à peine pour descendre manger, avait abandonné ses études à l’aube et pis, étais dans les communs où normalement il ne mettait jamais les pieds.

- Suivez-moi, Sévèrian. (il ne fît pas un geste dans ma direction et ressortit de la pièce) Vous finirez de manger en route.

J’obéis sans réfléchir, courant à sa suite en récupérant mon manteau dans l’entrée, finissant de manger tout en l’enfilant. Il m’attendait déjà sur le chemin, s’offrant au petit vent vif de ce début d’hiver. Dès que je fermais la porte, il reprit sa route et je dû forcer l’allure pour arriver à ses côtés.

- Où est-ce qu’on va ?

Il ne répondit pas. Je retenais ma curiosité et continuait de le suivre sans un mot, serrant les pans de mon manteau contre moi. Bientôt nous serions en plein hiver, les températures n’avaient cessés de baisser et les flocons épars de la nuit précédente n’en étaient qu’un prélude. J’eu une pensée pour la bande, sachant qu’à ce moment, ils devaient être en train de réunir couvertures et habits, après avoir cherché une planque abritée pour se protéger du froid. Je me demandais si les jumeaux survivraient à leur premier hiver dehors. Je me senti un peu coupable malgré moi, sachant qu’un feu et un repas chaud allaient être à ma disposition tous les jours désormais et que j’allais avoir des habits et des chaussures doublées sans devoir me battre ni voler pour ça. Mon accès de culpabilité disparu aussi vite qu’il n’était apparu : j’étais définitivement sorti de leur vie.
Aucune parole ne fût prononcée tandis que nous traversions la ville qui s’éveillait aux cris des marchands et des soldats de passage, des aboiements des chiens, des courses rapide des gamins sur les pavés. Comme à chaque fois, je levais les yeux sur le haut fronton des portes principales, avec l’impression de partir à l’aventure rien qu’en sortant de ma ville. Shaemoor étais une bourgade de campagne en rapport, malgré le fait qu’elle soit accolée à la cité. Nos pas se dirigèrent vers le torrent à l’ouest, grimpant le chemin parmi les rochers, traversant les ponts aux planchers branlants et tous luisants d’humidité, pour déboucher sur le sommet de la colline. Tous les gamins des rues connaissaient cet endroit et certains s’y étaient installés, construisant des cabanes de bric et de broc, certaines dans les arbres. Ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient pas rester en ville, pourtant plus sûre et mieux protégée. Je n’en avais jamais fait partie. A ces heures, l’endroit était des plus tranquille et le maître m’emmena plus loin sur une zone dégagée entourée d’arbres maigrelets, à côté du torrent et envahie d’herbes folle, avec un foyer en son centre et quelques rondins pourris en guide de sièges.

- Allez chercher quelques bûches et allumez nous un feu.

Je m’exécutais immédiatement et ramenai quelques grosses branches que j’entassais après les avoir cassées en morceaux plus petits puis, accroupis, tendant la main vers le foyer, je focalisais mes pensées sur les flammes, ressentant le léger picotement de la magie qui m’envahissait, sensation légère sous laquelle je ne pouvais retenir un sourire ravi, jusqu’à que les bûches humides s’enflamment gentiment d’abord, puis de plus en plus fort, jusqu’à ce que le feu soit assez puissant pour se maintenir par lui-même. Le tout n’avait pas pris le temps de dix respirations et j’étais plutôt fier de moi, mais le visage fermé de mon maître doucha mes espoirs de l’impressionner. Il alla s’assoir sur un rondin de l’autre côté du feu et je restais debout, attendant qu’il m’invite à m’installer. Ce n’était pas le moment de le contrarier d’une manière ou d’une autre.

- La magie, Sévèrian, est partout, vous le savez déjà, (il parlait d’une voix grave et posée, aussi à l’aise que dans son propre salon) Mais c’est bien plus que ça. Elle est comme l’eau du torrent derrière nous.  Elle coule et s’insinue en toutes choses. Elle a des courants et des marées, trace des chemins, parfois forte, parfois insaisissable. Il vous faut apprendre à la ressentir avant de vouloir apprendre à la contrôler. Avant tout…

J’étais suspendu à ses lèvres. Il allait enfin m’enseigner ! Mon enthousiasme fût de courte durée.

- Retirez votre manteau. (je restais stupéfait) Vous êtes devenu sourd ? Ne m’obligez pas à me répéter. (je m’exécutais sans comprendre) Bien. Vous voyez l’arbre mort là-bas ? Vous allez vous y installer et vous concentrer sur ce qui vous entoure jusqu’à ce que ce que la magie qui est autour de vous, dans chaque parcelle de cette clairière, soit aussi claire pour vous que je ne le suis à vos yeux. Et vous allez remonter le courant qui amène à ce feu pour vous en servir, si vous ne voulez pas être transis de froid. Jusqu’à présent, avec le peu que vous savez, vous n’êtes rien, qu’un simple intermédiaire qui remplace une allumette. Je veux que vous preniez le contrôle, que vous vous serviez réellement de la magie, que vous la compreniez. Maintenant, allez-y. Je  vous surveille d’ici.

Je le regardais d’un air ahuri et allais ouvrir la bouche pour lui dire que je ne comprenais pas et qu’il me fallait plus d’explications, que je n’étais pas prêt… Son regard bleu acier, acéré, parût me transpercer et me fît frissonner plus que le froid. Je contins mes remarques. Il voulait me mettre à l’épreuve, alors soit. J’allais à l’opposé de la clairière, bien trop loin du feu pour que je puisse seulement  imaginer avoir une quelconque influence sur lui. Bien plus loin que ce j’avais jamais essayé et de plus, je n’étais pas certain de savoir exactement ce qu’il attendait de moi. Je m’assis sur le tronc recouvert de mousse et observais les alentours ; le sol était recouvert de feuilles et de bois mort, des fougères poussaient un peu partout ; le vent sifflait, glacial à cause de la proximité du torrent ; quelques rares oiseaux appelaient leur congénère de trilles discrètes ; on entendait les rumeurs du village loin en contrebas. Je me concentrais sur ma respiration et fît le vide dans mon esprit, comme Al’ me l’avais appris. Et je tentais d’oublier que j’étais frigorifié avec ma simple chemise de toile.

***

Les heures s’égrenaient. Le soleil avait atteint son zénith et ses pâles rayons suffisaient à peine à tempérer l’atmosphère. Je me les pelais et je commençais à avoir faim. Et je n’arrivais à rien. Mon progrès le plus significatif était que j’avais sans le vouloir  invoqué une flamme entre mes mains, ce pour quoi je m’étais fait vertement réprimander. Quant à voir la magie autour de moi, je commençais à me dire que tout ça n’était qu’une vaste farce. J’avais demandé à plusieurs reprise si on pouvait cesser l’exercice, j’avais demandé ce que je devais chercher, comment, mais chacune de mes questions se heurtaient au mutisme buté de mon maître. Il faisait mine de ne pas m’entendre  et je le voyais prendre des notes dans un carnet. L’idée m’étais venu que tout ceci n’étais qu’une manière de me punir pour mon impertinence du jour précèdent. Dans le doute, je continuais à porter mon attention sur mon environnement, essayant de sortir mon esprit de son état de réflexion pour ne garder que le ressenti. Exercice hautement difficile si il en est que de mettre de côté tout le côté raisonné qui fais de nous ce que nous sommes, mais qui aidait grandement, de ce que me disais Al’, à approcher la magie. Donc, je m’appliquais du mieux possible, n’ayant de toute manière pas d’autres options.

En milieu d’après-midi, j’avais tellement froid que je ne sentais plus vraiment mon corps, ajoutant à ça les crampes dû une immobilité prolongée et la faim qui me travaillait (je n’avais rien mangé depuis l’aube). J’avais depuis un moment déjà cessé toute réflexion consciente, plus par abandon et fatigue que par volonté consciente, et mon esprit passait librement d’une idée à l’autre. Et puis… Le paysage devant moi se mit, comment dire… à vibrer, à s’éclairer devant mes yeux, sensation difficilement  retranscriptible en mots, je n’étais pas certain de ce que je voyais réellement car en fermant les yeux, j’avais toujours ces images, plus claires et plus nettes encore. J’avais soudain l’impression que tout ce qui m’environnait avais été pourvu d’une lueur propre qui palpitait doucement, changeait, se mouvait, comme un plan d’eau ou un enchevêtrement de rivières, plus exactement. C’était excessivement bizarre. J’avais l’impression de faire partie de ce paysage comme étant un tout et non pas un spectateur. Je sentais soudain la force tranquille du torrent à ma droite, lointain, je voyais l’écume briller comme des diamants contre les rochers, je voyais l’air scintiller à en voir les mouvements du vent, je sentais en dessous de moi, autour, partout, l’étrange sérénité de la terre. Mon attention, dès qu’elle se tourna vers lui, fût absorbée toute entière par le feu en face de moi. Cette énergie pure, magnifique, insoumise et imprévisible me semblait surpasser toutes les autres. Elle m’était à la fois familière et inédite, comme un ami jamais vu qui se serait dévoilé à mes yeux, parée d’une aura de rouge, orange, marbrée de bleu, qui montait et s’étendait, semblait vouloir absorber tout ce qui l’entourait. Le FEU dans tout ce qu’il avait de plus pur,  de plus vrai, de plus brut.  Mon côté conscient et réfléchi me chuchota que tout ceci n’étais qu’hallucination dû à la situation et j’étais assez d’accord avec lui, mais mon côté inconscient fît la seule chose qui lui semblait logique : il me fît tendre la main vers ce feu tant désiré.

La suite n’est qu’un ensemble de sensations floues et indistinctes, mais je me souviens que je glissais de l’arbre pour me retrouver à terre ; je sentais l’humidité et l’humus du sol, je voyais les herbes et feuille devant mes yeux, et puis la voix de mon maître arriva à mes oreilles tandis qu’il m’aidait à me redresser et à m’assoir contre le tronc.

- Par les six, Sévèrian, je ne vous ai pas demandé d’y aller si fort ! (son ton de voix avait une pointe d’amusement inhabituelle chez lui) Vous aviez vraiment si froid ?

Certes non, je n’avais plus froid et je me rendis compte que j’étais trempé de sueur, tremblant sous le contrecoup, avec une impression de chaleur irradiant de mon propre corps, douloureusement. Je levais les yeux sur la clairière et face à moi, à l’emplacement du foyer, il n’y avait plus que quelques volutes de fumées claires qui s’évanouissaient sous la brise. Je regardais mon maître. Il hocha la tête à ma question muette. J’avais éteint le feu simplement en voulant m’approprier sa chaleur ; pas étonnant que j’aie l’impression de brûler de l’intérieur. Heureusement, j’étais surveillé par un maître mage qui avait coupé mon lien avec le feu assez vite. Je n’ai même pas eu peur à l’idée, bien au contraire, même si je n’étais toujours pas certain que j’avais vraiment fait quoique ce soit. Mon maître me rendit mon manteau et, préférant frimer devant ses yeux pour l’impressionner plutôt que d’attendre un peu, ce qui aurait été plus raisonnable, je me levais sans attendre. En silence, nous reprîmes le chemin de la maison, mais ce n’étais pas le même silence que le matin même. Celui-ci était encourageant, empli d’espoir et de réconfort. Un autre chapitre de mon avenir s’ouvrait. J’avais enfin eu ma première vraie leçon de magie !

***