Sévèrian

Mémoire d'une mère - Divagation :

[ Posté sur le forum GW2RP le 27 novembre 2012 ]

Cerdan. Cet homme à la face de rat m’est insupportable. C’est l’âme damné de mon amant, le stratège de l’ombre. Il m’abomine. Et pourtant je dois le voir jour après jour, car c’est à lui que moi et mon fils avons été confié. Je me méfie de lui, je me méfie de tout le monde.

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La maison de campagne est une grande bâtisse froide aux façades de chaux délavées, aux jardins rabougris, entouré par une antique forêt. Mon moral sombre depuis que nous sommes installés ici, exilés pour « notre sécurité », a dit l’homme que j’aimais en me quittant sur le perron. Mais je sais, moi, qu’il ne cherche qu’une manière discrète de se débarrasser de ce que nous sommes devenus : des gêneurs. Je n’ai pas oublié. Je commence à le détester.

Ce soir, je regarder dormir mon fils, ce petit être innocent face au complot qui se trame autour de lui – et de moi. Les domestiques, le jardinier, les dames de compagnie dont on m’a affublée, tous ne font qu’espionner et tenter d’endormir ma méfiance à grand coups de discussions banales et de vie quotidienne d’un ennui profond. Mais je reste aux aguets en permanence et je ne me laisserai pas avoir.

Ce matin, il a neigé. Cela me rassure : je pourrais voir les aller et venue dans le parc. Mon fils vient d’avoir 6 mois, il grandi vite et bien. Ses cheveux d’un noir de jais entourent son visage, je ne les lui coupe pas. Il a l’air d’une fille. En le regardant jouer, ce sont les seuls moments où j’oublie où nous sommes, mais il y a toujours quelqu’un pour venir me parler de ci, de ça, me proposer une promenade, un encas, un livre… On ne me laisse que rarement seule avec lui. Méfiance… Je ne fais confiance à personne, ici. Je goûte tout ce qu’on m’amène pour lui. J’ai de plus en plus peur d’un empoisonnement.

L’hiver se termine et nous sommes toujours là. Ils ont économisé sur tout : le chauffage, la nourriture, j’ai souvent réclamé mais ils ont des excuses : la difficulté des routes, le bois qui se fait rare. Je suis persuadée que c’est un plan pour que nous faire tomber malade, mais ça n’a pas fonctionné. Cerdan vient toujours me voir, fouinant partout, me demandant comment je vais, comment va le petit, s’il mange bien, s’il dort bien… Il a l’air aussi incommodé par ma présence que je le suis de la sienne. Nous restons polis mais nos échanges sont glaciaux. Il cherche la faille et je ne la lui donnerai pas.

J’ai sympathisé avec la fille du paysan voisin. Elle a marié un jeune artisan de Shaemoor et revient ce printemps dans sa famille pour leur présenter son premier né qui a presque le même âge que mon fils. Discuter avec cette fille toute simple qui vient nous porter le lait m’est excessivement bénéfique parmi tous ces intriguant, pour la première fois depuis l’année passée je peux discuter librement. J’ai fini par lui dire que je suis lasse de cette vie et que je dépéris. Elle m’a proposé d’amener son fils pour que les deux enfants puissent jouer ensemble. Cerdan a accepté. Le petit est aussi blond que mon fils est sombre de cheveux. Ils sont adorables.

Ca fait 3 semaines que j’ai fait la connaissance de Charlotte. Elle vient presque tous les jours, désormais, et je vais souvent me promener jusque chez ses parents. Ce sont de braves gens. Malheureusement, je ne peux jamais sortir sans une ou deux accompagnantes de ma maison qui cancanent tout le trajet. Elles me rendent malade de tant de futilité étalée, mais je reste consciente que c’est sûrement une façade pour m’endormir. Elles rapportent tout à Cerdan. Tout. Je suis tellement sur le qui-vive que chaque bruit suspect me fais bondir, chaque coin d’ombre m’effraye, je ne dors plus sans la lumière et ne sort plus sans un court poignard caché dans ma botte. Ca fait trop longtemps, ils vont passer à l’acte.

A force de discuter avec Charlotte, j’ai fini par m’ouvrir à elle de la surveillance exercée sur moi. Elle a pitié et me prend pour une prisonnière – ce que je suis, dans les faits. Je me demande si je ne pourrais pas me servir de son amitié pour m’évader avant qu’il ne soit trop tard. Cerdan m’a dit que mon amant ne viendrai pas nous voir avant la fin du printemps, il y aura des élections au sein du conseil des ministres et il ne peut s’éloigner de la ville pendant ce temps, a-t-il argumenté. Mais tout ceci n’est qu’un leurre de plus, je n’ai pas besoin de beaucoup pour m’en persuader. Il ne me reste sans doute que peu de temps. Un accident… Je crains désormais de sortir de la maison.

J’ai mis au point un plan que j’exécuterai dès ce soir. Je n’en peut plus. Je ne mange plus, je ne sort plus de ma chambre, j’ai peur de tout et de tout le monde. Sauf de Charlotte. Elle va m’aider, c’est la seule amie que j’ai encore en ce monde, la seule personne qui puisse encore nous sauver. Ce soir, lorsque elle part, je referme la porte de ma chambre et j’interdis à quiconque de venir me déranger. Charlotte rentre chez elle, son fils dans ses bras, sa capuche remontée sur sa tête pour faire face à le pluie fine qui tombe sans discontinuer depuis ce midi. Sauf que ce n’est pas Charlotte. Nous avons échangé nos places. Nos vies. Pour une nuit elle sera moi et je serais elle; tandis que la maison s’endormira je serais loin. Demain il sera trop tard lorsqu’ils s’en rendront compte. Jamais il ne nous reprendrons. Mon fils vivra, loin, très loin de son père.

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