Sévèrian

Souvenirs d'adolescence - Hors de la rue :

[ Posté sur le forum GW2RP le 31 juillet 2013 ]

A partir de là, en toute logique, n’importe qui penserai que ma vie serait devenue simple et agréable, d’avoir été sorti de la misère, d’avoir un toit et plus de soucis de subsistance. Or, ça n’a pas du tout été le cas. Mais il faut remettre dans le contexte. J’avais 15 ans tout juste dont j’avais passé la plus grande partie, du moins celle dont je me souvenais, dans la rue, à vivre en bande et libre d’agir à ma guise. Et voilà que je me retrouvais dans un monde inconnu, seul, déraciné de mes repères et sans amis, avec des adultes qui me dictaient ce que je devais faire. Le choc fût tellement rude que les 2 premiers mois, je fuguais plusieurs fois. La dernière fois pendant 2 semaines entières et ne rentrai que parce que je ne savais réellement plus quoi faire ni où aller d’autre. Je n’avais plus ma place nulle part. Je n’étais pas de ce monde d’adultes propre et bien rangé, mais je n’étais plus non plus du monde de la rue. Pendant mon absence, d’autres règles s’étaient mises en place, la hiérarchie naturelle s’était modifiée, Thiel étais devenu, en quelque sorte, le nouveau chef et m’avais bien fait sentir que ma présence au sein de la bande n’étais désormais plus désirée. Je lui faisais concurrence. Malgré ça, les petits eux, ne voulaient pas me voir repartir. Ce fut un nouveau déchirement de les quitter une seconde fois. Au fond de moi, je savais que j’avais fait une erreur de chercher à revenir, mais il me fallait ça, me sentir rejeté par ceux-là mêmes qui, il y a si peu de temps, était ma « famille », pour me rendre compte que ma vie étais désormais ailleurs. Je fus sermonné, dû faire mes plus plates excuses, pas loin de supplier le maître de me reprendre, et fini par prendre parti de ce qui devint ma vie pour les années qui suivirent. Mais reprenons par le début et mon arrivée chez mon maître.

La première chose que je découvris en arrivant dans la maison que j’allais, par la suite, appeler mon chez moi, fût quelque chose que beaucoup de gens des beaux quartiers considèrent comme absolument banal et dont ils ne se représentent pas la valeur : le bonheur absolu d’un bain chaud ! Si vous avez passé toute votre vie à vous laver comme vous le pouviez, en été dans la rivière dont les eaux sont froides quoi qu’il arrive, en hiver avec de la neige douteuse, considérant la moindre flaque saumâtre comme une réserve d’eau bien suffisante pour vous décrotter après une sortie en plein champs ou après avoir traîné une journée entière sur les toits de la cité, vous pouvez facilement vous imaginer l’effet qu’a eu pour moi le fait d’être invité à prendre un bain dans une vraie baignoire, un grand bac même pas en bois, non, mais en fonte, dans une pièce dédiée à ça où il y avait du vrai savon et des linges propres. Un luxe dont, aujourd’hui encore, je serai bien incapable de me passer. Il y a énormément de chose qui ne me sont pas indispensables, mais pouvoir me laver et prendre un bain n’en font pas partie. Après avoir profité un temps interminable de cette découverte, il m’a bien fallu me résoudre à en sortir et à me sécher. La deuxième chose qui m’attendait était des vêtements propres. Et pas seulement propre, mais neufs. Qui plus est, ils étaient à ma taille. Plus tard, je découvrirai que faire l’achat de vêtements est une chose à réserver aux femmes où à ceux qui aiment ça, pour ma part je me suis toujours contenté de faire au plus simple et au plus vite. Certes, j’aime bien présenter, mais je déteste perdre mon temps chez un tailleur quelconque. Encore plus tard, pour des raisons pratiques, je me contenterai du minimum de rechange, ce qui économise considérablement la lessive lorsqu’on doit la faire soi-même, mais ce n’est pas encore le sujet. Une fois lavé et habillé, j’ai par contre dû batailler ferme sur un point qui peut paraître mineur à vos yeux, mais pas aux mieux. Considérant des raisons de présentations et d’hygiène, j’aurais dû accepter de me laisser couper les cheveux. Courts. Très courts. Sachant que je les portais attachés en queue de cheval depuis que j’étais tout gamin et qu’à cette époque, ils me tombaient à mi-hauteur du dos, c’était un sacrifice auquel il était hors de question que je me résolve. Je réussi à arracher un compromis et à ce qu’ils soient uniquement raccourcis ; ils le furent bien trop à mon goûts, étant donné que je n’arrivais plus à les attacher, mais je n’eus pas vraiment le temps de m’apitoyer sur leur sort. A la suite de ça, j’ai eu droit à un repas chaud auquel je ne fis pas tout l’honneur qu’il méritait, bien trop excité par ce que je découvrais au fur et à mesure, suivi d’une visite complète de la maison qui se fini au troisième étage, sous les toits, avec la présentation de ma chambre. MA chambre. Une pièce rien qu’à moi dont je pouvais avoir l’entière jouissance. Personne pour me la contester, un refuge, duquel j’avais une vue plongeante sur une bonne partie du quartier. Très rapidement, je découvrirai comment, en passant par le toit, puis celui du voisin, puis par un des grands arbres de sa propriété, je pouvais sortir et rentrer sans être vu, ce que je ferais plus souvent que de raison par la suite et qui me servirai aussi lors de mes fugues. C’est là que je terminai ma première journée dans ce nouvel environnement, dans ma chambre, où je ne tardai pas à inaugurer le lit. Dès que je fus seul, épuisé par tant de choses inconnues à appréhender, je m’y effondrai comme une masse et dormi d’un sommeil agité de multiples rêves jusque tard le lendemain.

J’ai jusque-là omis de vous parler de mon maître et de son assistant, je vais donc me permettre un écart. Maître Théoze, l’homme à qui je dois ma nouvelle vie, paraissait déjà vieux à l’époque et les années passées depuis n’ont pas arrangé ce fait. Cheveux et barbe grise bien taillée, un regard bleu clair pétillant d’intelligence, le verbe rare et l’attitude sévère, c’est un mage des éléments qui avait passé sa vie à enseigner à l’académie du Promontoire tout en collaborant ensuite avec le Prieuré. Si sa curiosité n’avait presque aucune limite, il y avait pourtant un sujet sur lequel elle ne s’était jamais arrêtée : moi. Si mon maître a toujours été dur et intransigeant pour ce qui était des études, il n’a jamais réellement semblé porter un intérêt à qui j’étais au fond. Seul comptaient mes résultats. Il m’expliquerait bien plus tard que si je l’avais intéressé au point de faire de moi son premier et seul apprenti, c’était parce que je n’étais pas un de ces gosses de riche capricieux et certain de tout savoir dont il devait supporter les manières à longueur d’année lors de son enseignement. Mon maître avait toujours fait preuve d’une certaine excentricité et parier sur un gamin dont il ne savait rien des réelles capacités, qui plus est sans aucune éducation, étais bien digne de lui. Il me voyait comme un récipient vide prêt à apprendre tout ce qu’il jugerait utile de m’enseigner, ainsi que comme un défi qu’il s’amusait à relever. Si il n’a jamais vraiment été curieux de ma vie, il faut dire aussi que ce n’est pas lui qui a eu la charge de m’éduquer. Maître Théoze étant constamment plongé dans ses recherches et études, il n’avait ni le temps ni l’envie de devoir penser à autre chose. Ainsi, il avait une personne chargée de tout ce qui touchait au quotidien, un intendant, une personne de confiance qui était plus un ami qu’un employé, du nom très chevaleresque d’Alonso Pathfinder. Autrement dit, Al’ qui deviendrait très vite une sorte de père de substitution à mes yeux. Al a dès le départ été chargé de s’occuper de moi pour tout ce qui ne touchait pas au domaine de la magie, c’est-à-dire que je lui dois pour beaucoup d’être devenu ce que je suis maintenant. C’est une espèce de faux ronchon d’une cinquantaine d’année au cheveu rare, ancien soldat reconverti suite à une blessure, vieux garçon et qui, j’en suis à peu près certain, servira maître Théoze jusqu’à la mort. Il me voue une affection sans borne, même si je ne peux pas dire que je lui ai vraiment facilité la vie.

Al, donc, a eu la pénible tâche de transformer le gamin des rues pouilleux et sans manière que j’étais en un apprenti digne de ce nom et capable de faire bonne figure en société. Et ce ne fut pas sans difficulté. Il commença dès le second jour à vouloir m’apprendre à me tenir à table. Hors, qu’y a-t-il de plus logique et de plus pratique que de manger avec les mains ? Pourquoi se compliquer la vie avec des services qui, pendant quelques jours, eurent une fâcheuse tendance à me glisser des mains presque pas intentionnellement ! Il y eut ensuite la manière de se tenir face à quelqu’un, les salutations, le comportement à prendre en public, puis tout ce qui touchait au ménage, la vaisselle, les rangements, l’entretien de la maison. J’ai dès le début été chargé d’entretenir ma chambre, dans laquelle il ne mettait jamais un pied. Après 3 semaines, j’ai bien dû me rendre compte qu’il fallait qu’effectivement je fasse le lit. Je l’accompagnai lorsqu’il sortait faire les courses, lorsqu’il amenait des documents à d’autres maîtres ou aux bibliothèques, je l’aidais en cuisine, au jardin… Les premiers temps, je me faisais un malin plaisir à faire exactement le contraire de ce qu’il me demandait afin de tester sa patience. Mais elle était infinie et, voyant qu’il n’abandonnait ni n’élevait la voix et qu’il était capable de me demander de recommencer quelque chose plus d’une vingtaine de fois où de me forcer à rester sur place tant que je n’avais pas obtempéré, j’ai bien dû ravaler ma fierté mal placée pour considérer que j’avais meilleurs temps de lui obéir, afin de me soustraire au plus vite à la contrainte. Comme il a très vite compris comment me motiver avec la promesse simple d’un moment de temps libre ou une sortie à la pâtisserie, les corvées devinrent à mes yeux de moins en moins pénibles et après quelques semaines, je devins un expert dans la recherche de la meilleure manière d’expédier mes tâches au plus vite. A côté de l’entretien quotidien de la maison, Al’ avais aussi à m’apprendre d’autre choses bien plus en relation avec ma présence sous leur toit. Ainsi, il prit en main mes premiers apprentissages. La première des matières sur laquelle il insista fût bien évidemment la lecture. Il me fit bien comprendre qu’il s’agissait là d’une priorité et qu’il n’aborderait le reste qu’au moment où je la maitriserai. J’avais bien quelques bases de lectures, je déchiffrai les mots tant qu’ils étaient à ma portée, cela restait excessivement lacunaire. Chaque jour, je passais ainsi pas loin de trois heures à lire, jusqu’à m’en dégouter. L’envie de faire autre chose étant chez moi une excellente source de motivation, je fis mon possible pour y arriver rapidement. Suivi l’écrit dès qu’il vu que j’arrivai à me débrouiller et qui fût loin d’être une partie de plaisir, puis le calcul, d’abord basique, puis plus complexe, l’histoire, la géographie… Tout cela fût amené par Al’ par petits bouts, une fois la lecture et l’écriture suffisamment maitrisée à ses yeux. Je découvris vite qu’il arrivait à mêler les sujets, un simple exercice de calcul déguisant une leçon de géographie, une leçon d’histoire servant à perfectionner ma grammaire. N’ayant rien d’autre à côté qui aurait pu me permettre d’être distrait, j’essayais de faire de mon mieux dès mes réticences de départ passées. Mais la masse d’informations à assimiler me parût très vite totalement insurmontables. Après 2 mois de ce régime forcé, il m’arrivait de fondre en larme comme une fillette dès la porte de ma chambre refermée, me sentant profondément seul et perdu. Ainsi, je fuguais donc pour la dernière fois avec l’idée bien arrêtée de ne pas revenir. Ce en quoi j’avais tort.

Lorsque, après ces deux semaines passées dans la rue, je revins la queue entre les jambes, je découvris que personne n’avais cherché à me retrouver. La seule chose que me dit Al me reste en tête encore aujourd’hui, malgré son évidence : « Si tu ne veux pas accepter la chance qui t’est offerte, tu seras le seul à blâmer, personne d’autre ne peut le faire à ta place. Il s’agit de ta vie et toi seul est responsable de ce qu’elle devient. » Cette simple idée, qui ne m’avait auparavant jamais réellement effleurée, a fait son chemin dans ma tête de jeune garçon plein d’illusions et qui, jusqu’à présent, se contentais de suivre le courant sans se poser de questions. Le sermon du maître, à côté, n’eut que très peu d’effet, du moins pas d’autre que celui de me montrer qu’il valait mieux ne pas le contrarier. Pour la première fois de ma vie, je me remis pleinement en question. Je n’avais pas du tout réfléchi à l’avenir en acceptant de suivre le maître, la première fois. Je pensais qu’une fois sorti de la rue, tout allait me tomber dans les mains, que je n’aurais qu’un minimum d’efforts à faire, que tout allait couler de source ; en réalisant que ce n’étais pas le cas, j’avais tout simplement paniqué et baissé les bras. Mais cette fois, soit je prenais la porte et redevenais un simple traîne savate, soit je restais en sachant que cela allait plus difficile que ce que je m’étais imaginé. Nettement plus difficile. Il m’avait bien fait bien comprendre qu’il s’agissait là de ma dernière chance après mes fugues répétées. Pour une fois,  je fis le seul choix intelligent. Je restais. A partir de ce jour, j’ai commencé à véritablement faire des efforts. A poser des questions. A étudier de mon côté. Oh, bien sûr, ça n’alla pas de soi, il y a toujours eu des moments plus difficiles que d’autres où j’ai été sur le point de craquer, mais le fait d’avoir choisi de rester cette fois en connaissance de cause m’aida grandement à prendre sur moi. Et Al repris ma préparation à mon rôle futur avec sa rigueur habituelle.

***