Sévèrian

[Event SDC] La Dernière Expédition

[ Posté sur le forum de la guilde SdC le 11 juin2013. Cet event fût le dernier réunissant sous leur bannière les membres de la guilde. Le texte se lit de manière autonome et n'est lié à rien d'autre. Prend place à ce moment du journal. ]

52ème jour de la saison du Phénix 1326 Ap.E.

 

Si au marais il pleut souvent, dans les Cimesfroides il neige tout le temps. Depuis que nous avions mis le pied à Hoelbrak, je n’avais pas vu un seul jour sans ces bourrasques blanches, tourbillonnantes, qui nous empêchent de voir où l’on va et font disparaitre nos traces au fur et à mesure de notre avancée. Et puis il y a le froid. Pas celui des soirées d’hiver en Kryte, ou de doux flocons moelleux tombent à nos pieds et où un simple manteau parvient à réfréner l’ardeur modérée de quelques degrés négatifs sur l’échelle de température. Ici, le froid est un ennemi redoutable et traître, il s’infiltre partout, dans la moindre faille de nos habits pourtant doublés de fourrure, il s’insère en nous pour ne plus nous quitter, froid au matin, la journée, le soir… même l’effort physique ne parvient pas complétement à ôter cette sensation de geler sur place. Chaque moment d’attente le renforce et lui fais gagner du terrain, minant les physiques les plus endurcis, jusqu’à la mort si la volonté faiblit. Ici, c’est le territoire des gens du nord, les norns, cette race qui parvient à être à l’aise même sous ce climat particulièrement inhospitalier, nous narguant de leur vêtements léger, peau à l’air même sous les rafales de ce vent qui cingle nos visages comme un fouet à longueur de journée. Heureusement pour moi, je parviens assez facilement à auto réguler ma température corporelle grâce à un faible appel à la magie et le froid ne m’atteint pas aussi férocement que mes compagnons de route. Malheureusement, je ne peux pas étendre ma magie jusqu’à eux et ils ont dû composer avec l’environnement hostile durant tout notre périple. Nous avions marchés 3 jours, remontant vers le nord puis l’ouest à travers les montagnes et les plaines gelées jusqu’au refuge au sud d’Antreneige où nous devions rejoindre Faendyr, sa compagne et la troupe qu’ils accompagnaient dans une expédition dans laquelle nous n’étions que de parfais étrangers.

Lorsqu’il nous avait contactés par courrier afin de reprendre contact, nous demandant de venir l’aider dans le nord, nous nous étions concertés longuement, nous retrouvant chez moi au cœur du Promontoire. Adam n’avait pas eût de difficulté à retrouver Amaelia et pour cause, elle était avec lui depuis toutes ces semaines. Mes deux amis n’avaient aucunes raisons valables de répondre à l’invitation, presque une supplique en fait de la part de celui qui fut leur chef, auparavant, et qui ne pouvait plus que faire appel à leur bonne volonté désormais au lieu de leur ordonner. Moi, par contre, je lui devais toujours obéissance et ça ne servait à rien, l’ayant testé, de vouloir infléchir mon maître à ce sujet. J’étais décidé à y aller seul et à les convaincre de ne pas m’accompagner. Je redoutais de ne pas y arriver, mes amis étant parfois aussi têtus et borné qu’un Dolyak qui freine des quatre fers. Comme prévu, leur réponse fut unanime et il me fut  impossible de les faire changer d’avis. « Nous venons, pour te protéger déjà, et tu ne discutes pas ! Et puis, il faudra quelqu’un pour surveiller les agissements de Faendyr, quoiqu’il arrive. » J’étais bien sûr soulagé de savoir que je n’allais pas partir seul et infiniment reconnaissant de leur geste, car je savais à quel point Amaelia, surtout, détestait cet homme et ne voulait plus rien avoir à faire avec lui. Une semaine après, cinq jours exactement, le confort du Promontoire n’était plus qu’un lointain et incertain souvenir alors que la vue du refuge se précisait de minute en minute.

***

A peine nous étions nous fais connaître qu’on nous assignait un logement dans l’angle d’un des bâtiments, exigus soit mais surtout… chauffé ! Il n’en fallait pas plus pour savourer les quelques heures de plénitudes qu’il nous restait avant de repartir dès le lendemain au matin. Nous n’avions pas cherché à aller voir le reste de la troupe, d’ailleurs aucun de nous n’avais le courage et l’envie d’affronter Faendyr en face à ce moment-là. Nous lui avions fait savoir que nous étions arrivé, et personne n’étais venu nous déranger de la nuit. Au lendemain, nous ne pouvions plus l’éviter et les retrouvailles furent particulièrement glaciales, concurrençant le climat à qui serait le plus désagréable. Face à une réelle hostilité de notre part, ou plutôt, je dois l’avouer, spécialement de la part d’Amaelia et d’Adam car je restais très diplomatiquement en arrière, la discussion fut excessivement brève et manqua singulièrement de courtoisie. Si je m’y attendais, connaissant bien la rancœur qu’avaient mes compagnons face à lui, il ne devait manifestement pas s’y attendre, lui, retournant à la protection sans équivoque d’Abigael et d’un guerrier nommé Thilic qui lui servait de garde du corps personnel, nous laissant entre nous. Amaelia fini d’enfoncer le clou en déclarant ouvertement qu’elle et Adam étaient venu pour moi et non pas pour lui ; le ton était donné et s’il n’appréciait pas, il l’avait pourtant cherché de par son comportement passé. Mais ça présageait du pire pour la suite des événements.

Après cette entrée en matière haute en couleur faite devant tout le monde, histoire de bien nous faire remarquer, nous furent tous remis à l’ordre par une norne, Moebius, qui se présentât comme la cheffe de l’expédition et après de très brèves présentations complémentaires, nous mis au courant du but de l’expédition : retrouver sa sœur disparue quelque part dans les montagnes. Sans tarder, elle nous mis en ordre de marche. Je me retrouvais derrière un charr qui, comme j’allais vite le constater, faisait office de chasse neige en me laissant recevoir en pleine face une bonne partie de ce qu’il écartait sur son passage. A ses côté un sylvari en armure qui semblait aussi à l’aise qu’au pied du Bosquet, devant en éclaireur, Moebius. Je remarquais bien sûr deux femmes, une noiraude à l’air pas commode et à l’impressionnant arsenal à la ceinture, ainsi qu’une rousse incendiaire qui semblait autant que moi jouer avec le feu. C’est la seule personne avec qui j’aurais vraiment apprécié faire connaissance à ce moment et pas seulement parce que nous partagions le même élément ;  en plus elle avait l’air de passablement s’ennuyer. J’aurais donné pas mal pour rester au refuge avec elle. A nous deux, nous protégions les côtés. Derrière moi, Faendyr et Abi qui se faisaient passer pour de simples érudits n’étant pas censés savoir se battre, puis l’arrière garde des gros durs, Adam et Thilic. Je me demandais fugacement ce que je faisais là, prêt à m’aventurer au plus profond des terres gelées en compagnie d’une troupe nettement plus aguerrie que moi et balayait l’idée aussi vite qu’elle n’était venue. Au moins, je ne risquais pas grand-chose avec pareille escorte. Je jetais un coup d’œil à Adam, imperturbable, et à Ama qui houspillais déjà son ours, nerveuse et sur la défensive. Et puis l’ordre de départ fusa.

***

Toute la journée, nous avions cheminés sur une route d’abord plus ou moins dégagées et que nous pouvions suivre avec une certaine aisance, c’est-à-dire surtout sans s’enfoncer dans la neige jusqu’aux genoux, puis après une courte pause pour avaler en vitesse un dîner rudimentaire, la route devint un sentier ondulant à flanc de montagne pour finir par disparaitre complétement par endroit, forçant l’avant garde à tracer le passage pour nous, qui peinions derrière. A de nombreuses reprises, notre groupe dût repousser des attaques allant de la meute de loup aux combattants draguerres et chacun, à part les deux nécromants au centre, prirent part aux combats. Je n’étais pas en reste, malgré mon habituelle répugnance à tuer, mais ici la survie du groupe tout entier dépendait des actes de chacun et je n’en étais que trop conscient. Je faisais donc mon boulot en pensant à autre chose, comme à la prochaine halte qui permettrait de pouvoir souffler un peu. Finalement, forçant la marche, nous dépassâmes un sanctuaire en ruine où de maigres indices nous avaient indiqués que la sœur de Moebius en était déjà repartie. Enfin, alors que le crépuscule s’annonçait et que la lumière déclinait dangereusement, nous finirent par arriver à un campement de tentes, le second but de notre périple, comme je le compris rapidement. Là, à peine la compagnie fourbue réunie autour d’un feu que je me permis d’attiser d’un peu de magie, Faendyr se livra à un rituel que je préférais ne pas regarder, mais qui, d’après lui, indiquait que la sœur de Moebius étais définitivement passée du côté des servants de Jormag. Autrement dit, qu’elle était corrompue sans espoir de retour. Je vis au visage de Moebius qu’elle retenait de montrer une quelconque réaction, mais qu’elle espérait une autre nouvelle.

Alors qu’on pensait pouvoir avoir droit à un peu de repos bien mérité, le camp fut mis sur le pied de guerre dès que Moebius se fut entretenue avec Faendyr. Je me demandais ce qu’elle savait de cet homme et de ses compétences réelles dont je ne soupçonnais moi-même qu’une partie, mais suffisamment pour avoir appris à m’en méfier ; en tout cas, elle semblait se reposer sur lui pour beaucoup de choses. Moebius annonça que nous allions devoir faire face à des attaques durant la nuit, dans très, très peu de temps. Elle prit ses dispositions, nous affectant à la porte est et demandant que Thilic, le guerrier, renforce notre petit groupe de trois. Faendyr refusa tout net, arguant qu’il avait besoin de sa protection pour lui-même et sa pseudo apprentie, Abi. Une onde de consternation nous inonda. Comment cet homme, qui nous avait fait venir jusqu’ici, pouvait nous laisser sans aide au moment où on en avait besoin ?! Tous les autres avaient étés affectés au côté ouest, sur deux points. Nous étions visiblement en infériorité numérique, trois pour défendre tout un pan du camp. C’est après avoir réclamé sans succès que Thilic nous rejoigne que nous nous décidions à rejoindre notre position en échangeant des regards qui en disaient long sur nos pensées respectives. Je savais que mes compagnons bouillonnaient de fureur, quant à moi j’étais complétement décontenancé.

***

Le camp était sur une hauteur surplombant la vallée, bordé par une falaise et accessible uniquement par deux voies d’accès. De là où nous étions, nous avions une vue dégagée sur des dizaines de mètres de pente lisse, à peine habillée de rares touffes de buisson ayant survécu on ne sait comment. Nous n’entendions qu’à peine les ordres venant du reste du groupe qui prenait sa position sur l’autre bord et qui, malgré son hétérogénéité, semblait pourtant nettement plus à l’aise que nous. Adam, concentré, avait pris place au milieu du chemin en contrebas, prêt à bloquer l’avancée ennemie. Ama’ et moi étions à la limite du camp, quelques mètres au-dessus de notre protecteur. La rôdeuse gardait son regard rivé sur la pente, son ours à ses côté restait outrageusement nonchalant, comme imperméable à la tension nerveuse qui nous envahissait. Les pensées se bousculaient dans ma tête, trop éphémères pour que j’arrive véritablement à m’arrêter sur l’une ou l’autre et au final je ne savais qu’une chose : nous étions là à la demande de cet homme qui jouait la comédie au centre du camp, dont j’étais certain que les pouvoirs pouvaient à eux seuls faire autant de mal que nous trois réunis, et il nous avait refusé l’aide d’un seul guerrier qui lui était complétement inutile, à part pour donner le change. Je ressassais cette idée, encore, me demandant si mes compagnons arrivaient à faire le vide pour le combat qui nous attendait. Et puis ça arriva. D’abord, des mouvements indistincts au loin, puis de plus en plus précis. Des guerriers en avant-garde qui couraient droit sur nous au mépris de toute prudence, leurs armes brandies au dernier moment alors qu’ils arrivaient sur Adam. J’ai réagi à l’ordre d’Ama’ par reflexe et les premiers tombèrent en arrière, terrassés dans leur charge, mais plutôt sous l’effet des flèches de la jeune femme et des griffes de son ours lancé à l’attaque que de mon fait. J’étais dans un tel état de nervosité que j’en oubliais les bases, les principes élémentaires, mes attaques étaient lamentables, impuissantes, tombaient à côté. Je n’arrivais surtout pas à chasser les pensées parasites de mon esprit. Encore une vague, légère, comme testant la défense. Un sursaut de concentration me permit de transformer un des guerriers en torche mouvante. Je sentais la fatigue du voyage se mêler à mes ressentis et peser sur mes épaules, j’enrageais intérieurement de montrer un tel niveau, justement à un moment où j’aurai dû être à mon maximum. Ama’ rattrapait comme elle pouvait mes ratés tandis qu’Adam encaissait de front sans broncher les attaques de ceux qui parvenaient jusqu’à lui, qu’il balayait ensuite d’un geste latéral de sa lourde masse, les envoyant à terre aussi facilement que de simples mannequins d’entraînements. Je voyais luire autour de lui le bouclier magique qu’il avait invoqué et espérais qu’il tienne le coup.

Je n’entendais pas les combats qui se déroulaient également dans mon dos, je ne tournais pas la tête pour regarder non plus. A ce moment je ne savais plus où j’en étais. En bas du chemin, presque sur la plaine, des mages s’étaient réunis en cercle et préparaient une incantation, trop éloignés pour qu’on arrive à les en empêcher. Il me sembla soudain que le géant de glace avait simplement pris la place des mages, le temps d’un clignement de paupière, mais comme on me l’a précisé après la bataille, les mages l’avaient créé en se servant de leur propres corps et en sacrifiant de leurs combattants. Il était proprement gigantesque et montait vers nous d’un pas lent mais décidé. Sa seule main aurait pu contenir deux fois Adam. Je n’osais pas imaginer le résultat s’il n’était pas stoppé. L’ours d’Amaelia se rua contre l’ennemi et gicla littéralement en l’air, accueilli par ce qui semblait n’être qu’une chiquenaude pour le géant ; l’ours vola à travers le camp pour atterrir pas très loin du feu, sur le côté de la falaise et rebondi lourdement à terre. Je vis Ama’ se retenir de se précipiter vers lui puis se retourner contre le géant. Je ne voulais même pas imaginer ce qui se passerait si elle quittait sa place, là, à ce moment. Pas seulement parce que tous nos efforts devaient être dirigés contre le géant, mais par ce que Faendyr pourrait cette fois lui faire subir pour ce qu’il ne verrait que comme une désobéissance de plus. Cette seule pensée raviva des souvenirs qui me firent revenir au combat, brusquement, comme si je reprenais contact avec la réalité ; je sentis avec plus d’acuité la magie vibrer autour de moi, les sensations habituelles revenir sans gêne, librement, les picotements au bout des doigts, la circulation de l’énergie dans tout le corps, et réfléchit à toute vitesse. Utilise les éléments à ton avantage, me martelait mon vieux maître. Feu et glace ne font pas bon ménage, mais la terre sous la glace… La terre est un élément que j’ai appris à maîtriser et en toute modestie, je peux dire que je m’en sers passablement bien. En contrebas, le géant continuais son ascension, criblé des flèches d’Ama sans que cela ne semble être une gêne. Je tentais de le ralentir en demandant à la terre de se soulever, créant des piques sous ses larges pieds, avec autant d’effet qu’une guêpe autour d’un charr, c’est-à-dire bien trop peu. Dans quelques pas, il serait sur Adam que je voyais se ramasser sur lui-même, son large bouclier devant lui, prêt à l’assaut.

***

Ama continuait de viser les points faibles avec l’énergie du désespoir, Adam était crispé dans l’attente et j’ignorais totalement l’avancée des combats de l’autre groupe. Ca mitraillait, explosait, criait sur l’autre versant… Nous étions trois face à un géant de glace, c’était déjà bien assez sans se préoccuper d’autre chose. Je pris une grande inspiration d’air glacé qui me brûla les poumons au passage et traçais dans l’air le début d’un glyphe complexe. Je savais ce que je voulais tenter de faire, mais je ne l’avais jamais fait en conditions réelles, dans l’excitation et la tension d’un combat. J’avais été absolument inutile depuis le début, je n’avais pas le droit à l’erreur ; et de toute manière je n’avais pas d’autres idées. Je me concentrais et fermais les yeux, continuant de tracer le glyphe, puis recommençait tout en murmurant l’incantation. J’avais en tête l’endroit exact devant Adam, je percevais les changements subtils du sol, lents, bien trop lents. Je recommençais, encore, autant de fois que nécessaire pour que le sort soit efficace, combinant feu et terre, augmentant l’intensité. Dans mon état de confusion et de fatigue, je supposais que je n’arriverais plus rien à faire après ça. Mais de toute manière, si ça ratait, il n’y aurait plus grand-chose à faire sinon prendre la fuite. Ama le chicanait plus qu’autre chose et personne au camp ne semblait vouloir venir apporter son aide alors qu’on en avait besoin plus que jamais. Je continuais méthodiquement à focaliser le sort sur l’endroit précis où le géant portait ses pas. Il y a eu un cri rauque, une sorte d’étonnement de sa part lorsque un de ses pied s’enfonça dans le sol, suivi bientôt du second. Il tenta de porter un coup en direction d’Adam, mais le gardien avait anticipé et s’était porté en arrière. La main démesurée du géant ne souleva qu’un nuage de neige en frappant le sol, tandis qu’il perdait l’équilibre. Sous ses pieds, le sol se fissurait, la croûte de terre brisée par son poids laissant apparaître des volutes de fumées âcres accompagnées d’une lueur rougeoyante, des bulles de matière en fusion venant éclater à la surface du sol. Le géant s’écroula dans un hurlement de fureur dans la mare de lave que j’avais créé  et Adam en profita pour se ruer dessus, lui écrasant le crâne d’un coup de masse à bout portant. C’était gagné.

Je me laissais glisser au sol, adossé à un pilier de barrière, m’asseyant dans la neige. J’étais content d’avoir réussi mon sort, tout bêtement. J’étais aussi épuisé, j’avais la tête qui tournait et je mourrais de faim, mais j’avais aidé mes amis et c’était tout ce qui comptait. De l’autre côté du camp, je voyais à travers la fumée du feu la silhouette d’un autre géant de glace tituber sous les attaques conjointes du reste du groupe. Et puis je les vis arriver. D’abord Thilic, le guerrier-garde du corps inutile. Il n’avait rien fait d’autre que tenir compagnie à Faendyr et Abi et je sentais que mes compagnons ne l’appréciaient pas ; ses félicitations me parurent aussi fausses que son ton empathique. Devant l’incrédulité franche qui l’accueillit, il se mit vite sur la défensive mais avant que le ton monte de trop, Faendyr était venu nous rejoindre, lui aussi. Alors que nous nous attendions à au moins quelques mots encourageant, il fut d’une extrême sécheresse, critiquant notre approche du combat, nos actions, nos faiblesses… Ce fut trop pour Ama qui l’envoya paître avec le soutien clair d’Adam. Il s’avança vers moi, je n’avais pas dit un mot et ça m’allait bien d’être un peu oublié pour une fois.  Je n’avais d’ailleurs pas besoin de dire quoique ce soit, puisqu’Amaelia  le découragea dans toute tentative d’approche comme une mère protectrice envers ses petits ; j’en riais intérieurement tout en prenant sa main pour me relever. Moebius intervint à point nommé pour empêcher la discussion de virer à l’aigre en ordonnant à tout le monde de rejoindre le feu central pour une réunion d’après bataille. Je ne pensais plus à l’ours, jusqu’à ce que je vis Ama lancer des regards inquiets vers sa position. Je la voyais figée, raide et hésitante et ne comprenais que trop bien ce qui la rongeais. Si elle y allait, elle allait se le faire reprocher. Nous nous rapprochâmes tous trois du feu, les derniers.

***

Je gardais ma main sur l’épaule d’Ama, le temps que ma tête veuille bien cesser de tourner. Il me suffirait de manger pour récupérer, encore fallait-il que la réunion ne s’éternise pas. Comme de bien entendu, toute l’attention, encore une fois, se focalisa sur notre petit groupe. Faendyr d’abord, qui tint absolument à en ajouter sur notre comportement. Il fut prié par Moebius de garder ça en interne, mais ce n’était que pour mieux prendre le relais. Je fini par entourer Ama de mes bras, venant derrière elle. Elle était nerveuse, mal à l’aise. Je savais que ce n’était pas moi le mieux placé pour la rassurer, mais c’était le mieux, en public. Je surpris le regard désapprobateur de Faendyr et en fut ravi. Autant que cela me tombe dessus, s’il avait quelque chose à redire. Pendant ce temps, Moebius s’était mise en tête de faire la morale à Amaelia pour avoir abandonné son familier et ne pas s’être précipité pour l’aider. Je sentais la jeune fille trembler dans mes bras et le serrait un peu plus fort. Si elle perdait pied, ça allait encore très mal finir. Pour elle. Et je savais bien que ce n’était pas un abandon, qu’elle était juste terrifiée d’aller vers lui alors que les ordres disaient de rester là. Et voilà que cette fille l’invectivait pour avoir obéi. Adam et moi échangeâmes un regard se perdant dans un abîme de perplexité ; quoique nous fassions, à chaque fois, ce n’étais jamais correct, ce n’étais jamais assez. Nous ne recevions que critiques et rabaissement en règle, comme toujours. Pour la première fois, je me demandais réellement pour quelle raison je continuai à l’accepter. Amaelia, elle, semblait porter sur ses épaules le poids de son passé, tel un fardeau qu’elle aurait à payer. Je la sentis qui s’échappait de mon étreinte et la laissait partir, la suivant des yeux  jusqu’à ce qu’elle rejoigne son familier. Adam la suivit lentement, soutenant le regard de Moebius.

Je restais là, seul, tandis que la norn se tournait vers le reste du groupe de l’autre côté du foyer. La décision s’était imposée d’elle-même à mon esprit, claire, limpide ; je craignais depuis trop longtemps de prendre ma vie en main, profitant du confort d’une vie décidée par les autres. J’étais un privilégié, mais je ne pouvais plus simplement laisser faire sans rien dire en voyant mes amis tourmentés ainsi.  J’ouvris ma veste, sortant d’une des poches intérieures un petit livre à la reliure de cuir polie par l’usure, je parcourais du doigt sa couverture en un geste machinal. Les annotations qu’il contenait étaient de précieux trésors, habiles, osées souvent et je les avais lues, étudiées, avec grand soin. J’en avais tiré de nombreuses notes, mais cela ne suffirait jamais à faire de moi un véritable maître de l’eau. C’était par trop opposé au feu, je ne pouvais pas forcer ma nature. Tenant le livre dans une main, je rejoignis Faendyr et le lui tendit. Je crois qu’il ne compris pas tout de suite. « J’en ai tiré tout ce que je pouvais. Merci de me l’avoir prêté. Mais je ne peux pas faire plus. » Son regard étais plus intrigué qu’autre chose, tandis qu’il prenait son livre d’un geste inconscient. Peut-être qu’il avait compris, peut-être pas. Je n’avais pas d’autres mots qui me venaient en tête, alors je me détournai et rejoignit la tente où Ama et Adam, aidé du Sylvari, avaient installé l’ours. Elle était à moitié effondrée, il manquait une partie de la toile, mais le sol en était relativement sec et la neige n’y entrait que d’un côté. Je restais à son seuil. Je venais d’hypothéquer mon avenir en quelques mots et un seul geste ; il y aurait sûrement des conséquences dont je n’avais pas la moindre idée. J’avais toujours eu peur de faire le pas, de prendre le risque de sortir du chemin tout tracé qu’on avait décidé pour moi il y a 8 ans. Une fois ce pas fait, le premier, je n’avais plus peur. Et de toute manière, j’étais bien plus inquiet pour l’ours et Ama, pour le trajet de retour, pour la suite de la nuit, que pour moi à cet instant précis. Il y avait bien plus important que de briser un engagement, même si cela signifiait devoir renoncer à un avenir idéalisé.

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Faendyr s’approcha de la tente et proposa son aide. Jamais encore je n’avais vu Ama ainsi ; l’aurait-elle pu, elle se serait jetée sur lui pour l’achever de ses mains. Faendyr eut l’intelligence d’aller se faire voir ailleurs avant qu’on doive nous en mêler pour retenir Amaelia. Tandis que j’entendais Moebius donner des ordres pour qu’on lui trouve un survivant de la bataille, Adam et le Sylvari étaient en train de puiser dans leurs dernières forces pour sauver l’ours. Je voyais leurs sorts de guérison illuminer doucement la scène, restant comme toujours émerveillé devant ce genre de petit miracle. Et puis soudain, un autre sort est venu se mêler à ceux des deux hommes, comme une brise fraîche, une pluie de printemps, tout est devenu humide autour de nous, le sol a verdi… et ça venait d’Ama. Elle semblait en transe, ravie, et tout semblait venir d’elle. Ca a entouré son ours et la lueur d’un vert tendre s’est mélangée aux auras bleutées des gardiens. Le temps semblait suspendu, jusqu’à que l’animal remue et que la vie accepte de rester dans son corps. Ama était aux anges, les deux gardiens aussi. Je les enviais terriblement de pouvoir ainsi soigner, si facilement en apparence, et regardais Ama surtout en me demandant ce qu’elle avait fait ; elle semblait autant que moi ne pas comprendre. Dans le camp, le reste de la troupe revenait déjà après avoir sans doute soutiré des informations à un quelconque guerrier agonisant. C’est à peine si j’entendis Moebius déclarer que nous étions des amateurs incapables et qu’elle ne voulait plus de nous dans son équipe. Faendyr ne fit rien pour la faire changer d’avis, aurait-il voulu le faire d’ailleurs que nous aurions refusés. Moebius ne laissa que peu de repos à son groupe, décidant de reprendre la route au plus vite, dans l’heure. Personne ne se préoccupa réellement de nous, à part une des femmes, la petite noiraude nommée Louveepine, qui resta avec nous. De toute manière, l’ours d’Amaelia n’aurait pas pu repartir de suite et je pense qu’aucun de nous n’aurait voulu avancer à proximité des autres. Nous nous installions donc bon gré mal gré dans une tente plus grande et en meilleur état pour quelques heures de repos avant de reprendre la route avant l’aube. Malgré nos craintes fondées, aucune attaque n’eut lieu durant la courte période de nuit où nous étions au camp. 3 jours plus tard, à peine, avançant aussi vite qu’il nous l’était permis, nous traversions à nouveau le portail d’Hoelbrak. Ne me restait plus qu’une épreuve…   Mettre mon maître au courant et assumer.

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