Sévèrian

[Event LDL] Enquête vaseuse

[ Event de Vensonge, 13.06.2014 ]
Ceci est le point de vue du personnage. Les informations ci-dessous ne sont pas de notoriété publique.
Prologue de la campagne "Les fragments de l'épée miroir".

72ème jour de la saison du Phénix 1327 Ap.E.

 

Une petite introduction en douceur

Mon retour parmi les gens du Pavillon aura finalement été une simple formalité, comme si j'étais parti deux jours et non pas deux mois. Si cet état de fait me surpris, il me ravi d'autant plus ; moi qui avait prévu moult explications et excuses à donner, voire pire, devoir défendre mon engagement auprès d'eux, en avait ainsi été exempté. Je repris rapidement mon rôle et ma place, mon lit et mes affaires sans plus de formalités. Tout aurait été pour le mieux si j'étais moins bête, plus sage, plus posé, et j'aurais sans doute également récupéré Alaeria. Mais ceci est une autre histoire sur laquelle je n'ai actuellement aucun désir de m'étendre.

Mon retour, donc, a été réellement inauguré ce soir-là avec une mission dans laquelle je me suis retrouvé propulsé plus ou moins par hasard, du moins pas complètement en connaissance de cause. J'étais là, j'étais curieux au bon moment, j'ai été choisi pour accompagner le groupe. Cela me va, mes finances ne s'amélioreront pas sans engagement et ce sera un bon moyen pour démontrer à nouveau mon utilité. De plus, rien de mieux pour varier les plaisirs qu'une soirée dans un marais, car, oui, c'était le programme ! Nous avions été engagés pour aller chercher quelque chose dont nous ignorions tout, l'empêcher de tomber dans les mains d'un groupe de l'enqueste, le ramener, au pire des cas le détruire. Quel était-il ? Quel forme ? Quel usage ? Nous verrions bien sur place. Cela ne changeais pas beaucoup des missions habituelles, remarquez. C'était parfait !

Je me suis ainsi retrouvé prêt au départ sous le commandement de notre sire Caius qui, je l'ai remarqué, apprécie particulièrement peu de se faire appeler « chef », raison pour laquelle je ne manquerais pas une occasion pour le faire. Etaient également de la partie la petite Tilly, dont je suis curieux de voir les compétences en dehors du service (dans lequel elle excelle, j'avoue) ; Jocelyn alias Joce, un ancien séraphin nouvellement arrivé parmi nous ; une espèce de bourrin, copie presque conforme d'Eskel (la liste de petites copines en moins - j'espère !) et Enola, une rouquine flamboyante que j'ai dû croiser une ou deux fois mais dont, à ma grande honte, j'ignore tout (pour le moment).

La première partie du trajet jusqu'à Gendarran était ce que l'on peut nommer une partie de rigolade qui aura été vite avalée. Le groupe était peu loquace, pour une fois. Ca sentait le sérieux et la concentration, chose inhabituelle avant d'être plongé dans l'action ! Nous sommes, une fois n'est pas coutume, passés par le sud, par Kessex, car nous avions rendez-vous au refuge de la vallée du voyageur, à la frontière des deux régions. Une fois là, surprise, le contact que nous devions joindre pour la suite n'était rien de moins qu'une vieille connaissance (enfin, je vous dis vieille, mais le terme la vexerait sans doute et il est totalement inadapté. Même si, par rapport à moi, il serait véridique. J'espère pour moi qu'elle ne lira jamais ce texte...) ; vieille connaissance donc, en la personne de la blonde la moins oubliable du monde, Atanae, que nous retrouvions avec une joie non dissimulée.

Le premier refuge (son nom officiel) est comme tous les autres refuges de la garde du Lion. Une bâtisse de pierre, un gros rempart aux moellons épais, posé à la lisière du marais de Lawen. Il est de notoriété publique que ce marais de superficie relativement réduite est infesté par les morts vivants. Pourquoi, c'est une question pertinente mais sans réponse claire. Pourquoi on les y laisse est bien plus facile à comprendre : ils ne dérangent que ceux qui s'y aventurent et les intéressés ne sont pas légions, à part nous ce soir-là. C'est donc avec une manifeste circonspection qu'il fût décidé d'en premier lieu envoyer des éclaireurs. Et qui d'autre, je vous le demande, de mieux placé, que Caius et Atanae ? Personne. A chaque fois, je me pose cette question pleine de bon sens : comment font-ils pour toujours se retrouver ensemble ? Autre mystère, comme ces morts vivants à Gendarran.

La première avancée de nos deux éclaireurs faite sans que quoique ce soit d'étrange et dangereux ne fût détecté (comprenez, autre que les revenants et les moustiques), ils nous appelèrent et bientôt, tous les six, nous pataugions dans ce charmant mélange d'eau stagnante, de boue, de racines traîtres, de végétaux pourris et d'odeur pestilentielle que nous regroupons dans ce simple mot de « marécage », qui est bien peu à même de rendre l'exacte réalité de ce genre d'endroit. Nous étions donc sensé trouver des asuras de l'Enqueste dans ce lieu accueillant ainsi que notre mystérieux quelque chose inconnu. Mais avant toute chose, il fallait que nous nous enfoncions plus profondément, et ce n'était pas gagné...

Et puis ça devient intéressant

Prenez un groupe de mercenaire composé de gens de bric et de broc. Demandez-leur de faire preuve de prudence et de discrétion. Envoyez les traverser un marais gluant. Mais, pitié, prenez note de ne pas, jamais, au grand jamais, laisser des gens en armure complète en faire partie ! A peine engagé dans les sous-bois et les pieds dans l'eau, nous découvrîmes que nos deux valeureux combattants que sont Joce et Enola étaient aussi discret qu'un Charr en pleine ville du Promontoire, le bruit en plus. Évidemment, leur pataugeage sans finesse ne manqua pas de rameuter quelques revenants particulièrement attentifs à leur environnement.

Laissant nos deux compagnons derrière se dépêtrer avec l'élément liquide, nous nous préparions déjà à en découdre avec ces immondices que sont les morts vivants. Ils étaient deux, ce qui n'est pas énorme, lents, moches et dangereux tout de même. Si nous les laissions approcher. Inutile que je m'étende, même moi j'ai vu pire que deux revenants et ils furent bientôt calcinés, tranchés, découpés et sulfatés.  Le seul souci avec ces saletés, c'est qu'il faut une bonne dose d’acharnement pour qu'ils acceptent de partir rejoindre leur âme chez Grenth puisque même en morceaux, ils continuent de pouvoir se mouvoir. C'est donc avec cette dose d’acharnement qu'ils furent éliminés.

Une fois cette entrée en matière terminée, le terrain un peu plus sec nous permit d'avancer plus facilement vers une butte dégagée qui, comme je l'ai compris, était notre but pour déclencher la première partie du plan. Effectivement, Atanae avait en sa possession un dispositif permettant de déclencher une série de leurre destinés à détourner l'attention des asuras et nous permettre de passer à la seconde partie de nos recherches avec un peu plus de tranquillité. La bonne nouvelle, d'après notre commanditaire, c'est qu'il n'y avait pas de golem à l'horizon. J'avoue avoir un relatif mauvais souvenir de mes rencontres avec des golems et ce n'est pas sans déplaisir et un soupçon d’appréhension que je remettrai le couvert.

Pour en revenir à nos leurres, le groupe que nous étions se dispersa rapidement au pied de la butte afin de s'y cacher pour que Tane puisse lancer la diversion. Enola et Joce allèrent à quelques mètres de là au pied d'un arbre, à moitié dans la vase. Nous quatre restants prîmes position sous les racines d'un grand arbre des marais, moi en bas, Till en dessus, Tane et Caius plus haut. Mais avant que les leurres puissent être lancés, Till me fît une petite spécialité pas piquée des hannetons. J'étais, je l'ai dit, juste en dessous d'elle. Ce n'était pas innocent, chacun de nous semblait prendre soin de la surveiller particulièrement et je ne faisais largement pas abstraction à la règle. J'aurais pu la toucher en étendant le bras. J'étais sans doute trop près. J'étais certainement trop près !

Je les vis avant de les ressentir ; des fils de lumière, bleutés, lumineux, se tendirent vers moi, partant d'elle, que je ne pouvai pas éviter sans quitter ma planque végétale. Quand ils me touchèrent, je ressenti comme un ordre inconscient, une volonté plus forte que la mienne, qui voulait s'y juxtaposer, me forcer à aller vers elle, à la protéger, à la prendre dans mes bras, à la choyer, là, tout de suite. C'était tellement improbable, tellement violent, que je dû faire un monumental effort de volonté pour ne pas suivre l'injonction de cette force. Et pourtant, les six m'en sont témoin, c'est un ordre que j'aurai volontiers suivi en d'autres circonstances ! D'autant que Till est mignonne. Mais je m'égare.

Je fini par bondir hors de la protection de l'arbre, tandis que Tane et Caius se précipitaient pour voir. Il suffit que je m'écarte de quelques pas pour que le contact se rompe de lui-même en une gerbe d'étincelle bleutée. Tane fulminait, Till ne savait plus où se mettre, j'avais du mal à reprendre mes esprits. Je partis de l'autre côté de l'arbre trouver une autre cache, loin de l'étrange phénomène. Et Atanae lança enfin les fameux leurres. Tandis que nous attendions sans bouger, soudain, il sembla monter un bruit d'avancée rapide venant de derrière nous, se rapprochant. Le doute ne tînt pas longtemps sur leur identité, car une petite troupe d'asuras de l'enqueste, clairement, nous dépassa au petit trot sans nous voir. Leurs armures et leurs armes n'incitaient vraiment pas à vouloir se frotter à eux. J'espérais de tout mon coeur que ces leurres dont on parlait seraient efficace longtemps...

Où on entre complètement dans le vif du sujet

Après quelques minutes d'attente angoissante, nous nous sommes regroupés pour reprendre notre avancée. Joce semblait troublé mais il n'en parla pas. Till à partir de là évita de se trouver près de moi et évita Atanae de même. Ah oui, j'ai oublié de le préciser. Mais depuis que Tane s'est découvert une affinité nécromantique, elle invoque une ombre bien utile qu'elle semble diriger, un peu comme un chien. Elle l'appelle Cabriole. En tout cas, le... machin sert d'éclaireur. C'est pratique. Mais ça reste de la magie, et Till semble craindre désormais les mages. Je ne lui en voudrais certes pas.

Nous filâmes donc à travers le marais plein sud aussi vite que le terrain le permettait, jusqu'à nous trouver au pied de la falaise sur laquelle il bute et de là, nous avons continués vers l'est en la longeant. Atanae, grâce à l'équipement dont elle était pourvue, suivait l'augmentation de la magie alentours (en terme technique, on parle de densité éthérée, mais je vous en ferais grâce). Le niveau augmentait lentement, mais sûrement, en restant dans des valeurs tout à fait acceptables. J'imagine qu'il y avait une raison pour que nous soyons en possession d'un tel équipement, mais j'avais un peu de mal à en voir l'intérêt. J'aurais pu moi-même ressentir une augmentation dangereuse dans les environs. Normalement.

C'est en avançant ainsi que nous devions découvrir une grotte à l'entrée dégagée. Restant à l'entrée, chacun tenta de déterminer si notre cible pouvait s'y trouver. Je lançais prudemment mes sens vers la roche, sondant la muraille et le terrain alentours ; en suivant le courant de magie qui filait entre le roc, coulait dans les failles et les veines, s'introduisait entre les parcelles de terre meuble, je pouvait déterminer si elle était stable, si elle avait des faiblesses, ou encore si il y avait eu des interventions humaines. C'était le cas. Ou du moins, le sol avait été remué et récemment, juste à l'entrée. Je transmis l'information. Et Caius ordonna qu'on repris la route en espérant que nous n'arrivions pas trop tard.

Après une nouvelle avancée sur un terrain praticable, nous sommes arrivés à flanc de colline, sur une nouvelle butte. A droite la falaise, à gauche le marais. Et une surface plus ou moins dégagée où nous avons stoppés, attendant que l'éclaireur, en l’occurrence Caius, aient fini d'inspecter le terrain un peu plus haut. Enfin, il nous appela. Cabriole, l'ombre, refusait de sortir depuis que nous étions arrivés là. Il trouvait ça bizarre, d'autant plus qu'une partie du sol semblait le préoccuper. Il me demanda si je pouvais déterminer à nouveau s'il y avait quelque chose. Je tentais le coup de la même manière que pour la grotte, en m'agenouillant sur le sol boueux. Il était dit que je ne devais pas faire une mission sans pourrir mes habits.

Rapidement, je lui confirmais ce qu'il supposait. Quelque chose étais enterré sous nos pieds, de forme indéfinie, mais de manière presque certaine. Je pouvais ressentir la terre autour, bloquée par cette forme que je ne pouvais pas déterminer, imperméable à ma magie. Donc, pas de la terre. Ni de la roche. Il décida de la dégager. J'aurais voulu voir la tête de ceux qui ont parlé de pelle à ce moment-là ; j'avoue, j'ai pris un malin plaisir à proposer, encore, de profiter de mes compétences. Pour une fois que je peux me mettre en avant et frimer un peu, autant profiter ! Non ?

Le sol meuble et humide n'est pas ce que je préfère pour agir avec la magie. C'est un terrain délicat, instable, empli de perturbation ; de plus, la corruption des morts vivants me gêne pour puiser la force des éléments alentours. Elle affaibli ma magie, en plus d'éventuels effets secondaires sur l’utilisateur dont je me passe volontiers. Aussi ai-je préféré puiser dans mes propres réserves pour lancer mon sort. Dangereux, si ce n'est pas maîtrisé, fatiguant, au mieux, bien plus que d'utiliser les ressources naturelles. Je maîtrise, sans fausse modestie. Mais la terre, ici, était réticente à m'obéir, et je dus forcer la puissance mise dans le sort pour qu'enfin apparaisse notre mystérieux objet à la lumière de la lune...

Attention là ça va cogner !

La forme apparu dans un sourd grondement, comme si la terre la rejetait, et elle se retrouva devant nos yeux ébahi, humanoïde certainement, mais tellement recroquevillée sur elle-même qu'il était délicat, de prime abord, de l'identifier. Enfin, il fût clair pour tous que ce que voyions n'était rien moins qu'un draguerre, mais un draguerre étrange, avec des restants de plume noire, entouré d'une robe brunâtre bien trop large pour lui, qui geignait et gémissait. Enfin, Joce avança, le premier à oser, et se mît à genou vers l'étrange créature, tentant de lui parler. Soudain il s'écria « Mais t'es une norn ! » en nous regardant tous, cherchant visiblement notre approbation. Il était bien le seul à voir une norne dans cette créature...

Tane s'avança ensuite, prudemment, armes aux poings. Tous deux demandèrent en même temps son nom à l'être, dans une parfaite synchronisation, sans se concerter. Cela me fit sourire. Mais l'être ne répondait pas aux questions, elle ne produisait que des paroles incohérentes, disant qu'on lui avait volé sa peau et répétait en boucle des « Pas moi, pas moi » difficilement supportables. Était-ce donc cela, l'étrange objet, l'arme en puissance, que nous devions trouver et rapporter ? Cet être semblait tout droit sortir d'un quelconque laboratoire de l'Enqueste, soit, mais de là être une arme...

Nous en étions là lorsque soudain, un cri d'alarme retentit de la part d'Enola « Là ! Dans les marais ! ».  Dans l'ombre des arbres, une nuée de petites lueurs rouges était apparues et qui avançait, avançait... tout droit sur nous ! Ce fût le branle-bas de combat. Nous prîmes position, plus ou moins en ligne sur notre terre-plein, abrité sur deux côté par la falaise et par les arbres. Joce et Enola étaient restés en contre bas, première ligne de plaque et d'épée, Tane, Tilly, Caius et moi prêts à faire notre office à distance. Le temps de nous préparer autant que possible et nos adversaires furent clairement identifiable. Manifestement les leurres n'avaient pas retenus l'enqueste assez longtemps...

Tane ouvrit le feu avant que nos adversaires soient vraiment à distance, les autres attendaient, quant à moi je préparais soigneusement le glyphe de mon sort, afin d'augmenter sa puissance et de maximiser son impact. Enfin, quand il furent à portée de tir efficace, ce fût le déferlement. Les balles sifflèrent, les flèches filèrent et devant le nez des premiers asura se dressa mon mur de flammes. Bien sûr, cela n'empêcha pas 4 de nos ennemis de le traverser en bondissant sur Joce et Enolà, comme des bêtes affamées qui auraient vu une proie ! Littéralement ! Et le chaos devint présent au corps à corps.

Nos deux guerriers paraient et répondaient de leur mieux aux coups de leurs adversaires, alors que les tireurs faisaient leur possible pour les aider et continuaient d'en empêcher d'autre de parvenir sur nous. Je ne faisais rien d'autre alors que de maintenir mon sort actif, ce qui était déjà suffisant pour que je sois entièrement focalisé dessus. Soudain, un des adversaires d'Enola disparu... pour réapparaître derrière elle ! Sans la présence d'esprit de Caius qui vît le mouvement et parvint à l'intercepter, la rouquine aurait eu bien des problèmes. Après quelques tours de passe-passe, Caius se débarrassa de son énervant ennemi.

Brusquement, par-dessus la cohue ambiante, s'éleva un cri strident de Tilly « Sév derrière ! » et je devinais plus que je n'entendis le bruit sourd d'un corps qui tombe sur le sol. Je me retournais vivement, pour me retrouver face à face avec un asura dont on ne voyait que le regard, la tête engoncée dans une cagoule sombre, tentant de retrouver ses esprits. Manifestement, le tir de Tilly avait désactivé son bouclier protecteur sans faire d'autre dommage. Mais c'était déjà ça de gagné. D'instinct, je lui balançais une boule de feu. Mais allez viser dans des conditions pareilles, sachant qu'un asura fait 50 centimètre de haut, dans le stress du combat, avec votre adversaire qui croise votre regard...

Et tout part grave en cacahuète !

Je le ratais. Les flammes lui passèrent au-dessus de la tête. Et pendant ce temps il réagit. La première douleur me laissa stupidement incrédule et ne m'arracha même pas un cri, si ce n'est de surprise. La lame entra tout droit comme dans du beurre, perçant mon ventre sur le côté. Bien sûr, c'est à hauteur d'asura, c'est facile. Le coup, ou mon air ahuri, eût l'air de le ravir. La seconde douleur, quand il retira son arme, fut dix fois pire, à sentir les chairs tirées par la lame. A défaut d'en mourir sur le coup, j’étais certain de défaillir. Ce ne fût pas le cas, parce que je devais avoir trop mal pour réussir à lâcher prise. Mais par les six, qu'est-ce que j'aurais voulu !

J'étais là, hébété, sans avoir la présence d'esprit, même pas l’instinct de survie, de réagir face à mon adversaire. Tilly se ruait vers moi, je la voyais dans mon champs de vision ; l'asura était trop proche pour qu'elle puisse tirer sans risquer de me toucher en même temps. Elle arriverait trop tard, je le savais.  L'instant suivant, Caius était devant moi et venait proprement enfoncer l'asura dans le sol avec sa hache, lui ouvrant le crâne par la même occasion. Brave Caius. Toujours là où on l'attend le moins. Faut que je pense à le remercier.

Je tombais à genoux, ma main posée sur mon flanc laissant couler mon sang de la blessure. J'en étais à mille pensées en même temps qui tournaient, ruaient, se disputaient dans mon esprit, et pas une n'arrivait à se fixer. Est-ce que j'arriverais à lancer un sort de soin ? Impossible. Une bribe de cours me revint concernant les blessures au ventre, mortelles sans soin. Puis l'image de Vane fière de m'avoir sauvé qui se superposa à celle de l'asura mort. Et Lae si je mourrais, elle ferait quelle tête ? Au moins j'aurais été utile ce soir avant d'être mis hors d'état. Derrière, ça bastonnait toujours.

Joce tenait ses adversaires à distance, leur tenant tête en faisant montre de l'étendue de ses talents, sans parvenir à s'en défaire pourtant. Tane essayait de l'aider, mais les angles de tirs n'étaient pas évidents, jusqu'au moment où elle parvint à trouver une ouverture et paf l'asura ! Le premier, puis le second tombèrent sous les balles. Enola, elle, avait réussi à bloquer celui qui lui restait sous son bouclier. Elle faillit se faire avoir par un retour de sort quand l'asura lui renvoya en plein dans son camail l'estoc d'épée qui devait le tuer. Je crois que son cri devait ressembler à quelque chose comme « Putain de gardien ! » . Sans l'intervention de Tane pour qu'on le garde en vie, elle l'aurait carrément mis en pièces, je pense. Et puis tout redevint calme.

Atanae se précipita sur moi. Cette réaction me fît chaud au coeur, sérieusement. Je jurerais avoir moins eu mal rien qu'après ça. Elle s'empressa de me faire un bandage compressif, tandis que Tilly, visiblement la mort dans l'âme, ne pouvait se résoudre à me toucher et s’était redressée. Je n'étais visiblement toujours pas décidé à tourner de l'oeil et décidait donc de faire un effort de volonté pour ne pas en arriver là, sachant que ce serait galère pour mes compagnons si en plus d'être blessé, j'étais inconscient. Enola vint ensuite me trouver, m'aida à me mettre debout, ou plutôt m'arracha du sol, ce qui me donna l'impression qu'on arrachait un morceau à ma blessure, mais aida clairement à ma relative clarté d'esprit.

Une fois les asuras éliminés, le sens pratique revenu, il fût évident qu'il fallait qu'on décampe au plus vite. Atanae décida d'aller faire une rapide reconnaissance du chemin de retour pendant que le groupe soufflait. A ce moment-là, le draguerre-norne revint à l'esprit des gens. Celui-ci s'était mis debout et approché de la zone de combat. Joce revint vers lui, enfin, elle, puisqu'il persistait à l’appeler ainsi, et l'interpella. Elle ne répondit pas plus qu'auparavant. Puis, Tilly lança son manteau à Joce, pour qu'il  s'en serve pour la draguerre. Ce faisant, elle croisa le regard de l'être tourné vers elle et fût soudain happée par ce regard, et leva les bras vers la créature...

Et si échouer était la meilleure solution ?

Soudainement, alors que rien ne pouvait laisser deviner ce qui allait se passer, un rayon sombre aux lueurs violacées parti de Tilly en direction de la norn-draguerre. Celle-ci ouvrit grand les bras de côté, comme pour l’accueillir, comme si elle ne demandait que ça, tandis que c'était la stupéfaction la plus totale dans le groupe. Le moment de flou passé, Joce voulu se précipiter dans le rayon pour l'empêcher de passer, mais il se heurta à un véritable mur physique et retomba en arrière. Caius faisant de même au même instant traversa le rayon et se retrouva en son centre, mais évité par celui-ci, qui passait par-dessus et autour du rôdeur, sans le toucher, comme si il était un rocher contre lequel les flots s'écartaient pour reprendre leur course après. Et la norn-draguerre le reçu en plein.

Enola me lâcha aussi délicatement que possible et je restais à terre, tandis qu'elle aussi voulu tenter de stopper le courant noir et mauve qui passait de l'une à l'autre. C'est ce moment que choisi Tane pour revenir et s'élancer d'un rapide pas de course vers le rayon, mais elle était loin encore. Joce, furieux, empoigna l'asura inconscient qu'on gardait en vie pour la suite et le lança sur Tilly, mais cela ne suffit pas à  rompre la concentration de cette dernière. Il s’élança alors sur elle et l'empoigna, la plaquant au sol. Et le rayon s'évanouit, laissant à son extrémité la créature désormais pourvue de longues et parfaites plumes d'un noir profond, d'un bec et de serres, le draguerre imparfait devenu corbeau géant.

Joce, au faîte de la colère, secouait Tilly, lui criait dessus, tandis que les autres restaient interloqués, le laissant faire. Tilly leva alors le bras, posant sa main sur le joue du guerrier et, d'une voix qui n'était pas la sienne, une voix sinistre, déclara « offrir cette vie à Grenth ». Alors, derrière Joce qui ne s'en rendît même pas compte (et tant mieux pour lui) se dressa une monstruosité, une guivre sombre, malsaine, venue tout droit des brumes. Jamais je n'avais vu pareille créature. Le monstre ouvrit grand sa gueule nauséabonde, entourée d'une aura noirâtre, et plongea sur Joce.

Caius tira. Atanae tira. Enola chargea. Je priais. Tilly souriait. Joce leva le poing. Une droite. Et la guivre s'effondra des efforts conjugués. Derrière, oubliée de tous, la norn-draguerre désormais corbeau lâcha un cri strident, étendit ses ailes, battit des ailes, et s'envola. Atanae voulu tirer. Caius le lui interdit. Le tir se perdit dans le ciel obscurcit. Tout était fini. Le silence retomba sur nous comme une chape de plomb et l'instant s'éternisa, figé, puis le temps repris son cours normal.

Atanae et Caius s’engueulèrent un bref instant, alors qu'il était évident que nous venions de perdre ce pour quoi nous étions venu. Enola revint vers moi et me releva, Joce pris Tilly et l'asura sur les épaules. Et sans plus de cérémonie, nous reprîmes la route du refuge afin d'une bonne fois pour toute se tirer de ce fichu marécage ! Nous ne devions croiser aucune âme en route, ni vivante ni morte, ce qui n'était pas plus mal. C'est un groupe en petite forme et d'humeur sombre qui parvint au refuge et pris ses quartiers dans une tente de soin. Till inconsciente, moi mal en point, Joce souffrant d'une épaule démise pendant la bataille, Enola de son cou malmené. Seuls Caius et Atanae s'en sortaient bien. Physiquement du moins.

***

« Le rapporter ou le détruire » disait la mission. Mais à mes yeux, en y repensant après coup, peut-être, pour elle, étais-ce la plus belle des fins possibles. D'être libre. Ni avec l'enqueste, ni avec notre commanditaire. Personne ne le saura jamais. Sans doute, quelque part, un grand corbeau survole des terres infinies désormais siennes.