Sévèrian

Souvenirs d'un fils - L'Accident :

[ Posté sur le forum GW2RP le 27 janvier 2013 ]

Il est rare qu'il neige en hiver en Kryte, par contre les températures peuvent descendre très bas. C'est la période la plus dure pour nous. Les abris sont âprement disputés, la nourriture se fait rare et plus difficile d'accès, il y a l'humidité, le manque de soleil, nous sommes souvent malades. On fait avec. De toute manière nous n'avons pas le choix. Juste avant l'hiver, la bande a recueilli deux nouveaux, des jumeaux ; une fille et un garçon aux allures d'anges blonds. Des anges pouilleux, mais des anges quand même, avec une trogne à attendrir Grenth lui-même. Je les ai trouvés en ville, vers le passage central qui mène aux portes ; ils m'ont dit qu'ils avaient marchés depuis Beetletun, que leurs parents étaient morts et qu'ils cherchaient des cousins qui devaient être à Shaemoor. Mais ces cousins n'avaient pas voulus des petits. Je les ai pris sous mon aile. Quel adulte peut donc être aussi cruel pour abandonner des innocents ? 10 ans à tout casser et leur avenir brisé à cause d’égoïstes. Je ne supporte pas ça. J'ai un peu de mal à leur faire comprendre qu'ils ne doivent pas toujours être dans mes jambes, parce qu’ils ne veulent plus me quitter ; mais depuis que Chris est partie, je suis d'humeur solitaire et ne m’encombre pas de compagnie. Dans la bande, je suis un des plus âgés maintenant et le dernier qui reste de tous ceux qui en faisaient partie quand je l'ai rejointe. Ca me donne un certain statut aux yeux des autres, entre autre celui de pouvoir leur demander de s'occuper des petits en mon absence. Ces temps, je vais mendier loin de notre zone habituelle, dans les rues plus proches des beaux quartiers là où on trouve des bourgeoises usées par leur petite vie tranquille et sans histoire. Elles sont plus riches que les gens des bas quartiers mais moins blasées que les nobles. Un public parfait, encore plus quand elles sont avec leurs marmots bien habillés, bien éduqués et qu'un rien impressionne.

Je fais disparaître la pièce dans une main, ouvre l'autre et fais mystérieusement réapparaître la pièce entourée de flammes dans la paume de ma main. Tous adorent ce tour de passe-passe. Et ce n'est qu'un de ceux que je leur montre. Ce sont des trucs que tout gamin sait faire, appris par les grands ; faciles à faire mais toujours efficace, surtout avec ma petite signature personnelle. J'ai clairement progressé dans mes expérimentations du feu et j'arrive à créer des flammes tout à fait convaincantes. Ca devient de plus en plus facile, d'ailleurs, et me demande de moins en moins de concentration. Ca n'a rien à voir avec les sorts de vrais magiciens, ça n'enflammerai pas grand-chose, mais ça suffit amplement pour en jeter plein la vue à ces dames qui s'ennuient et les motiver à ouvrir leurs portemonnaie. Ce qu'elles font d'ailleurs avec d'autant plus de plaisir que j'agrémente le tout de mon sourire le plus charmant. Et à voir leur tête, parfois, je me demande ce qui leur fais plus d'effet : moi, ou les flammes que je fais jouer dans mes mains... A cette époque, j'ai presque ma taille adulte, je porte mes cheveux longs, plus que maintenant, que j'attache en queue de cheval avec une lanière de cuir. Et je ne cache pas que réussir à faire sourire n'importe quelle fille dans la rue est pour moi un défi que je renouvelle sans cesse. Mais ce jour-là, comme depuis 3 jours, j'ai un nouveau public. Un vieux type engoncé dans un manteau de fourrure qui lui tombe sur les pieds ; il a de longs cheveux blancs, une barbe drue bien taillée et passe des heures à me regarder faire en restant un peu à l'écart. Ce jour-là, il commence sérieusement à me taper sur le système quand il se décide à m'aborder alors que je vais quitter les lieux. Je n'ai pas spécialement envie de lui parler, mais la curiosité et l'appât d'un éventuel gain me retiennent et me rendent poli. Il se présente très dignement et d'une manière un peu pompeuse. Il se dit être un maître élémentaliste de l'académie de magie du Promontoire, un nommé Theoze De Lothian. Je fais mine d'être intéressé sans voir où il veut en venir tandis qu'il darde sur moi un regard bleu glacier. Il se fait curieux, me pose des questions auxquelles je réponds laconiquement, surtout sur le feu. A sa demande, je fini par lui montrer ce que je sais faire et mon côté frimeur me pousse à créer une flamme plus grande encore que tout ce que je fais généralement. Ca a l'air de lui convenir car il prend un air très approbateur. Il pense que j'ai un potentiel – je dois lui demander d'expliquer ce mot. En bref, il veut voir si j'ai la compétence pour devenir son apprenti. J'éclate de rire, comme ça, sous son nez, avant de lui donner mon point de vue sur une telle absurdité ; je lui conseille de rentrer au chaud et de penser à sa retraite. Quand il veut me retenir par le bras, je le rabroue sèchement et m’enfuis.  On ne m'avait pas autant énervé depuis un sacré bout de temps. Le lendemain, je change de rue, à l'autre bout du quartier.

Le vieux est de retour. Je n'ai eu qu'un jour de répit avant qu'il ne me retrouve. Il réitère sa proposition et a l'air très sérieux. Pour un peu, j'y croirais. Il a vraiment l'air de ce qu'il prétend être ; dans tous les cas, ce type m'impressionne et je n'aime pas ça. Non seulement je suis mon propre maître, mais il est hors de question que j'abandonne la bande maintenant, avec les jumeaux qui comptent sur moi. Je le lui dis, mais il n'a pas l'air découragé. Il revient encore le lendemain, puis je ne le vois plus pendant quelques jours. Je suis soulagé, j'avais peur de devoir changer complètement de quartier alors que celui-ci est une vraie poule aux oeufs d'or. En tout cas, grâce à mes efforts, je peux acheter des manteaux aux jumeaux. Acheter, et pas voler. Quand je les leur amène, ils ont des étoiles dans les yeux. C'est impossible que je les laisse tomber. Ce soir-là, en rentrant à notre planque, j'imagine la tête des jumeaux quand ils verront ce que je leur réserve. La journée a été bonne, il faisait beau, les gens étaient de bonne humeur et généreux. J'ai réussi à marchander à bon prix une pleine tablette de chocolat, ils vont être fous de joie. C'est plongé dans ces pensées que j'avance d'un pas vif à travers les ruelles de la cité et m'engage dans les quartiers plus pauvres. Je marche sans réfléchir à mon parcours, je le connais par coeur. J'ai fait une erreur. C'est au moment où j’entends les pas de course derrière moi que  je réalise que je n'ai pas fait attention à ne pas être suivi. Ils sont trois, je n'ai pas le temps de me retourner qu'ils sont sur moi ; mon dos vient heurter le mur, suivi d'un coup de poing dans l'estomac qui me coupe le souffle et me fais me plier en deux. On me tire les bras dans le dos, on me repousse au milieu de la ruelle. Il fait trop sombre pour que je puisse détailler mes adversaires mais je sais ce qu'ils veulent, d'ailleurs ils me le disent clairement. Ca fait trop longtemps que je fais la manche sur leur territoire en ignorant leurs avertissements, sans leur payer leur dû. J'ai joué avec le feu... Je savais bien qu'ils me tomberaient dessus, mais pas ce soir. Ce soir, ça devait être une bonne soirée. Je ne sais pas ce qui vient de m'exploser en pleine figure, mais ça me laisse sonné. J'aimerais bien réagir, mais je suis tenu d'une telle force que tout ce que je peux tenter est un coup de pied au jugé devant moi. Je suppose que j'ai touché quelque chose au cri qui s'ensuit et le paye au centuple. Ils se mettent à deux pour me tabasser propre en ordre à coups de poings. Quand je n'offre plus aucune résistance, ils finissent par se lasser et celui qui me tient me jette au sol. Le pavé est froid, humide, il sent la pisse et la boue. J'ai un goût de sang dans la bouche, âcre, j'essaie de le cracher, gémis sous l'onde de douleur qui parcourt mon corps. Je me demande si mon nez est cassé. Je me demande si mourir, c'est vraiment douloureux. Est-ce que ça peut être pire que ça ? Un coup de pied vient stopper mes divagations et m'arrache un hoquet. Enfin, j'arrive à cracher le trop plein de sang. J'aimerais bien les insulter, mais je n'y arrive même pas. La honte. Un second coup de pied m'envoie rouler sur le côté. Je les entends rire et me dit que j'ai été très con. Je pense à Livio que je crains de rejoindre, à Chris, aux jumeaux qui n'auraient pas leur chocolat. Les jumeaux. Cette seule idée suffit à ranimer mon instinct de survie, juste au bon moment. Au-dessus de moi, à travers mes paupières gonflées, j'arrive à discerner une silhouette qui a l'air de vouloir me finir à coup de piquet en métal. Il se découpe très clairement sur le ciel étoilé, levant le piquet pour prendre de l'élan. Je n'ai pas très envie de savoir ce que ça fait d'être embroché par un piquet en métal. Je réagis sans réfléchir,  mon corps prend l'initiative de ma sauvegarde sans que j'en aie vraiment conscience. Je sais que je lève la main droite devant mes yeux, comme pour me protéger du coup à venir. Sauf qu'à la place de me reprendre le coup, c'est le type qui prend feu...

Son hurlement déchire la nuit. Il me glace le sang. Je n'avais jamais entendus un tel son sortir d'une gorge humaine. Les deux autres sont tétanisés tandis que leur pote se roule à terre. On dirait une torche géante, le gars tout entier s'est enflammé sans que je comprenne comment. Je sais que c'est moi qui ai fait ça, forcément, mais je n'arrive pas à réellement y croire. Les deux types debout finissent par réagir, enlèvent leurs vestes et étouffent les flammes. Le blessé crie, gémit et pleure en même temps, une odeur de chair brûlée envahit la ruelle, me prend à la gorge, tandis que je rampe vers le mur dans mon dos, tout aussi effrayé que les trois gars qui m'ont attaqués. Je les entends  crier, je ne comprends pas les mots mais la panique dans le ton de leur voix est palpable. Ils semblent se concerter, relèvent le blessé. Un des deux encore indemne s'approche de moi, étend son ombre sur mon corps meurtri. Je me recroqueville sur moi-même. Il semble hésiter, me crache dessus, puis part aider le blessé et son acolyte. J'entends leurs pas et les gémissements du brûlé qui résonnent en s'éloignant. Bientôt, je ne les entends plus. Un chien hurle à la lune, au loin. Je tremble, je pleure, je craque nerveusement. Je ne suis pas mort, mais la douleur irradie chaque fibre de mon être à telle point que là, je crois que je préfèrerais l'être. Je fini par tomber dans l'inconscience. C'est le froid et la pluie qui me réveillent. Il fait nuit, encore. Je grelotte, je ne sens plus mon corps, ce qui n'est pas plus mal. Je sais que si je reste là je vais mourir de froid, si ce n'est pas déjà trop tard. Je suis furieux contre moi-même, contre ces types, contre le monde entier. Ma fureur me motive. Je revois les flammes, j’entends le hurlement du type. Il me poursuivra longtemps, aujourd'hui encore, parfois, il m'arrive de refaire ce cauchemar. Je sens en moi même irradier la chaleur, je vois une lueur en entrouvrant un oeil. J'arrive à lever la main à hauteur de mon visage et m'aperçoit qu'elle luit d'une aura chaude, rouge orangée. Je suis étonné et inquiet mais au moins, je ne vais pas mourir de froid. Pas de suite. Il me faut une éternité pour arriver à me redresser, d'abord pour m'assoir et encore plus longtemps pour me lever sur mes jambes. Le chemin jusqu'à la planque est un véritable calvaire. Quand j'y arrive, il ne reste que Thiel d'éveillé. Thiel, c'est le plus âgé de nous tous ; pas véritablement un ami, on a toujours eu du mal à s'entendre, mais loyal à la bande, tout comme moi. Il se précipite sur moi sans me poser une seule question. Dans notre monde, ce qui m'arrive est plus que courant. Il m'installe près du feu et inspecte mes blessures. A sentir, j'ai des côtes qui y ont passés, fêlées, peut être cassées, le visage tuméfié, lèvres éclatées, mais à priori, rien de vital n'a été touché. J'ai vu des jeunes d'autres bandes agoniser des jours durant de blessures internes et je lui demande de m'achever avant si ça devait être le cas. Je sais qu'il en est capable. Heureusement, ce ne seras pas le cas. J'ai toujours eut un bol de cocu. A la fin de la semaine, dès que j'ai pu me lever, j'ai trainé mes guêtres dans le quartier où j'avais passé les derniers temps, à la recherche du soi-disant maître de l'académie. Je ne l'ai pas trouvé le jour même, mais le surlendemain. Lui aussi me cherchait. J'avais failli tuer un homme ; ou peut-être même tué pour de bon, je ne l'ai jamais su. Ce que j'avais fait m’effrayait au plus haut point. Si cet homme était vraiment ce qu'il prétendait être, il pouvait m'aider à contrôler ce que j'avais en moi, pour m'empêcher de recommencer. Je n'avais pas d'autre choix. J'ai accepté son offre.

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