Sévèrian

Mémoire d'une mère - Genèse :

[ Posté sur le forum GW2RP le 22 novembre 2012 ]

Dwayna… Protège mon fils. Grenth, je te rejoins, je te… rejoins…

« Sév’ ! A quoi tu penses ?! »
« Mmh.. ? »
« Arrête de mater cette fille, même en rêve t’aurais pas une chance ! »
« Va t’faire… »
« Hahaha ! »

Cette femme aux cheveux châtains et aux yeux verts avait l’air triste. Elle ressemblait à l’image de mon médaillon. Elle ressemblait à l’image que j’ai de ma mère. Ce n’était qu’une illusion furtive, déjà disparue au coin de la rue.

« Allez viens, on va voir au marché, y a sûrement deux trois trucs à récupérer tombés des poches de ces braves gens. Bouge, mon ami, ça t’changera les idées ! »

Il avait raison. Je n’ai pas de mère, je n’ai jamais eu besoin de mère, et je n’en aurais jamais besoin. Je renvoyais ces pensées au fin fond de mon subconscient.

Au premier regard que je posais sur lui, j’ai su  que c’était l’homme de ma vie. Il était si beau, si charismatique, charmeur, parfait ; politicien brillant, tacticien avisé, ambitieux, il attirait tous les regards où qu’il aille. Il était homme de pouvoir. Je n’étais que la fille d’un tailleur renommé de la capitale. Il m’a séduite. Il m’a faite sienne. Il m’a ensorcelée.
Et j’en étais heureuse, je croyais à ma chance, pauvre fille naïve et insouciante, je sortais à peine des jupes de ma mère... tout ceci étais une résultante de ses actions et pas celle du hasard, encore moins des miennes. Il avait toujours tout ce qu’il désirait et il m’a désirée, moi. Je l’ai compris, désormais, trop tard. Bien trop tard…

Et puis je lui ai appris que j’étais enceinte.

***

« La ferme, Cerdan !  »

L’homme faisait les cents pas dans son bureau richement décoré, aux tapis brodé, aux meubles marquetés, aux bibliothèques emplies de livres rares ; la lumière d’automne emplissait la pièce d’une teinte blafarde.

« Comment peux-tu me donner pareil conseil ?!  »

Cerdan sembla rétrécir sur lui-même. Pourtant grand, il avait une demi-tête de moins que l’homme à qui il faisait face, une chevelure filasse blonde, des yeux bleu scrutateurs et calculateurs.

« Pourtant c’est la vérité, la logique même, Messire. Cet enfant représente une menace. Pensez seulement à votre avenir ! Votre femme n’a toujours pas pu enfanter, vos adversaires politiques pourraient l’utiliser pour faire pression sur vous, sans compter les rumeurs… Il faut que vous v… »

L’homme éclata, sa voix tonna et résonna à travers le couloir du bureau, roulant sous les voûtes extérieures.

« Il faut que je m’en débarrasse ?! C’est ça ton conseil avisé, Cerdan !? Que je me débarrasse de mon premier et seul fils, bâtard de ma maîtresse !? »

Cerdan sembla vouloir rétrécir encore davantage. L’aurait-il pût qu’il aurait filé se réfugier dans une fente du plancher. Mais il ne pouvait que subir la colère de son maître.

« Pas forcément vous en débarrasser, non.  »réussi-t-il enfin à dire, une fois le calme revenu. « Le mettre à l’écart serait plus prudent, le temps que votre épouse effectue ses devoirs. Ou que vous décidiez de modifier cette situation à votre avantage…  »

Cerdan caressa sa fine barbiche en se redressant. Il en avait vu d’autre.

« N’avez-vous donc point pensé à cette possibilité, qui vous donnerai alors un héritier tout à fait légitime ? »

L’homme stoppa ses aller et retours sur le tapis, toisa Cerdan de son regard marron, ses cheveux d’un noir de jais encadrant son visage et lui donnant un air sévère.

« Répudier ma femme et épouser ma maîtresse en seconde noce, je connais ton idée. Fais  attention Cerdan, tu sais combien ma femme m’est précieuse. Garde ce genre de conseil pour toi et ne t’avise plus de m’en parler. Lorsque le moment sera venu de l’envisager, je le ferais. Jusque-là... »

Cerdan baissa le regard, ce qui suffit à satisfaire son vis-à-vis.

« Mais comme toujours, tes conseils sont des plus avisés et je vais les suivre. La mère et l’enfant doivent être mis en sécurité, loin de la cité, le temps qu’il faudra. J’enverrai des précepteurs, il sera éduqué pour le rôle qu’il aura à jouer une fois adulte à mes côtés ; il faut qu’il devienne un atout et non pas une faiblesse. Et c’est ce qu’il deviendra. »

L’homme vint se placer devant une des larges fenêtres de la pièce, regardant au dehors les allers et venues de la populace.

« Je te charge de t’occuper de tout, Cerdan. Le manoir de chasse sera tout à fait approprié à l’éducation du garçon et sa mère devra y être heureuse aussi. Envoie la avec des suivantes, des domestiques, tout ce qu’elle désirera. C’est la mère de mon fils, Cerdan, ne l’oublie jamais. Jamais. »

Il avait prononcé ce dernier mot avec une intensité telle qu’une chape de plomb sembla s’abattre sur Cerdan. Le conseiller se retira en multipliant les courbettes jusqu’à la porte qu’il referma prestement derrière lui. Dans le bureau, l’homme n’avait pas bougé.

***

« … que je m’en débarrasse… m’en débarrasse… m'en... débarrasse... »Encore et encore, ces mots tournaient dans ma tête, jusqu'à l'obsession. Alors que j’allais le retrouver, emplie d’une heureuse insouciance que je ne connaîtrai plus jamais, je m’étais arrêtée net  dans le couloir qui menait à son bureau ; sa voix forte traversant la porte en chêne avait emplis les traverses du palais, résonné sous les voûtes, rebondis sur les corniches, m’avait transpercé. C’était sa voix, la sienne, celle du père de mon enfant ! « … que je m’en débarrasse… » Ce soir-là, une partie de moi mourût, je crois. Je tombais dans un puits dont je ne voyais pas le fond, éveillée mais sans l’être vraiment, consciente mais l’esprit embrumé. Plus rien ne serait comme avant ce jour « … que je me débarrasse de mon fils…  » Comment pouvait-il seulement penser ça... ?!

Plus tard je l’ai vu. Je suis retourné à ma chambre. Je n’ai pas osé lui en parler, pas voulu ; ainsi il veut se débarrasser de la gêne que nous sommes. Nulle autre explication possible. Après ces quelques mots que j'avais capturés par hasard, après cette révélation, mon esprit enfiévré n’avait plus que cette seule idée en tête. Faire attention. Etre prudente. Rester sur mes gardes. C'était MON fils désormais, à moi seule. Plus le sien. Définitivement.

***