Aéllys

Rencontre II: Le félin

Shatrath, la capitale de l’Outreterre, sanctuaire neutre, ville à la population bigarrée et aux mœurs exotiques. Sur les hauteurs, les érudits graves et sages, le nez plongé dans leurs livres et formules. Laissons-les là et allons voir dans la ville basse, bien plus vivante et intéressante. Dans ses allées, des marchands de toute sorte ont montés de véritables souks ; on y croise autant des mendiants que de preux chevalier et même, parfois, quelques coupe jarrets. A l’écart des remuants commerces se tient l’auberge de la ville basse, haut lieu de beuveries et de spectacles pour tous ceux qui sont de passage dans la cité. Assis autour d’une table presque propre, nous retrouvons notre elfe aux cheveux d’argent et à la mine fière, etc. Vous la connaissez, depuis le temps… En face d’elle se trouve… se trouve… Passez-moi la loupe, je vous prie. Un gnome ! Celui-là est vêtu d’habits improbables, sobres et sans doute confortables mais tachés de graisse, d’huile et de matériaux divers ; ses cheveux et sa longue barbe d’une vive couleur rousse sont hirsute et ne doivent pas connaître le peigne ; il porte des lunettes visiblement gnomes, elles aussi, laissant émettre de curieux bruits de temps en temps ; pour terminer le tableau, il tient dans sa main un gros cigare fumant et puant auquel il semble porter beaucoup plus de soin qu’à sa propre personne…

Le gnome : « Hé ben, Trèso… Aéllys, quoi d’neuf !? »
Aéllys : *pousse un soupir* « Ah bah, comme d’habitude, p’tit Dreack… Tuer, être tué, la routine quoi… » *tousse et chasse la fumée d’un geste de la main* « Et c’est quoi cette horreur que tu fume !? C’est ignoble comme odeur ! Kof kof ! »
Dreack : *rigole* « Ha ça c’est sûr, c’pas pour les bébés ! … Hé ! C’est quoi qui me bouffe l’pied, là !? »

Le gnome se penche pour regarder sous la table et aperçoit Ash, le lion noir de l’elfe, couché à ses pieds et fort occupé à mordiller ses chaussures. Se voyant découvert, il lève la tête vers Dreack, baille en ouvrant tout grand ses mâchoires - sans doute pour impressionner le gnome par la taille de ses canines - puis pose sa tête sur ses pattes de devant en laissant échapper un long soupir d’ennui. Dreack se relève vivement, ajuste ses lunettes et rallume son cigare.

Dreack : *souriant* « Ah ben dis poupée, t’m’a jamais raconté d’où elle vient, ta bestiole ! C’pas courant comme couleur qu’il a !» *marmonne dans sa barbe* « Me demande si c’est génétique… P’t’être que l’champ magnéto-tellurique d’son lieu de naissance, ou alors… »
Aéllys : *lance un regard amusé au gnome* « M’appelle pas comme ça ! Et si tu veux tout savoir… Ca fait un bon moment qu’on est ensemble, lui et moi. Mais je me souviens bien de notre première rencontre. Je vais te raconter l’histoire… »

« C’était il y a 4 ou 5 ans, peu après mon départ de la maison. J’étais à Forgefer avec Shabhal, que j’avais rencontré peu de temps auparavant. A l’époque, j’étais accompagnée d’un minet gris, compagnon de mes jeunes années, un jeune félin de Sombrivage. Il était gentil, bien élevé et tout ce que l’on veut, mais il était de faible constitution et plus apte à la paresse qu’au combat… Et voilà que devant la banque, je vois un nain, fier et d’une belle allure, un fusil dans le dos et une bête impressionnante à ses côtés ; un grand et robuste lion à la robe noire. Son regard était vif, ses poils lustrés et ses muscles saillants. Bref, une bête comme je n’en avais jamais vue. Contrairement à ma réserve habituelle, j’ai abordé le nain en le complimentant sur son familier et lui ai demandé d’où il venait. C’est alors que j’entendis parler de la première fois de ces bêtes, les lions noirs des Tarides. Rares et recherchés, ils ne se montrent que rarement et chanceux les chasseurs qui peuvent en attraper un. C’est là que j’ai décidé d’en apprivoiser un, à tout prix. Après quelques semaines de vagabondage et de préparation, j’ai pris la direction des Tarides, une région que j’avais déjà parcourue en tous sens. Grâce aux indications du nain, je trouvais facilement l’endroit où il m’avait dit que les lions se rassemblaient, un grand arbre, un peu au dessus de Cabestan. Je m’installai sur une des grandes branches et me préparait à une longue attente.
Et puis, j’étais à peine installée que je vois arriver de la compagnie ; un jeune troll, visiblement animé des mêmes intentions que moi et munis des mêmes informations. Ca  égaya mon attente… En effet, ce concurrent inattendu n’avait pas l’intention de me laisser la primeur sur le félin. Dès ce moment, une lutte âpre et féroce eu lieu et dura de longues heures. Le jeune troll m’attaqua à de nombreuses reprises et je lui rendis la pareille à chaque fois; blessés, épuisés, chacun quittait régulièrement le terrain pour reprendre des forces à l’abri. Toujours, nous revînmes sur les lieux, prêt à en découdre à nouveau. Puis, au bout de longues heures interminables, il faut croire que mon adversaire s’épuisa plus que moi ou que sa patience ait atteint ses limites car il sembla quitter les lieux pour de bon.
C’est à ce moment que, n’y croyant plus, fatiguée, meurtrie, mes bandages épuisés, je LE vis. Lui. Le félin noir ! Oubliant soudain que mon corps réclamait du repos, je me suis approchée sans bruit en prenant le temps d’admirer son corps vigoureux, ses muscles puissants roulants sous son pelage sombre, tout son être dégageant une aura de fierté. Après avoir judicieusement placé un piège, je l’attirais à moi et à force de patience, le nourrissant à la main, m’en occupant amoureusement, j’ai réussi à l’apprivoiser. Et depuis là, je peux dire que nous sommes devenus les meilleurs amis du monde ! Hein, Ash ? »

A ces derniers mots, le félin lève paresseusement la tête vers sa maîtresse puis, voyant que rien de plus ne se passe, la repose et reprend sa sieste interrompue. L’elfe se baisse et caresse le pelage soyeux. Dreack rigole et envoie un lourd panache de fumée grise vers le plafond de la taverne.

Dreack : « Ha ça c’est d’l’histoire ! Même si j’comprends vraiment pas c’que tu trouve à ton chat, ça m’a bien fait marrer, tiens ! »
Aéllys : *l’air résignée* « Ouais, ouais, je sais… Vous, les gnomes, à part vos machins techniques et vos inventions bruyantes, y a rien qui vous intéresse… Et moi je comprendrai jamais rien à tout vos… trucs, là. Pfff… »

Aéllys pousse un long soupir et pose sa tête sur sa main, coude sur la table. Machinalement, elle grignote un biscuit qu’elle a sorti de son sac et en donne la moitié à Ash.

Dreack : « Allez, fait pas c’te tête, tiens, je paye la tournée ! Et même à ton bestiau, tu vois que j’suis pas si méchant, hein ! »

Le gnome rigole, du rire si particulier de ceux de sa race et se lève. En passant, il pose la main sur les fesses de la serveuse et cligne de l’œil à l’elfe.

Dreack : « Alors trésor, tu nous sers à boire, à moi et à mon amie ? Pis tu amène un grand bol de lait pour l’chat sous la table hein, t’mettra tout ça sur ma note, comme d’hab ! »

Sous la table, l’intéressé laisse entendre une sorte de miaulement rauque. Tout ça, au fond, le laisse parfaitement indifférent…