Aéllys

La nuit du Cataclysme [Hurlevent]

Aéllys était à Hurlevent, ce soir là. Pas que la ville lui plaisait particulièrement, non, mais bien parceque, depuis qu'elle avait quitté son dernier poste en date, c'était là qu'elle avait le plus de chance de trouver de quoi s'occuper. La ville était le centre névralgique et commerçant de l'Alliance, après tout.
Depuis quelques jours, et encore plus ce soir là, l'air était lourd, poisseux, et particulièrement chaud pour la saison; au loin, on entendait gronder l'orage. De plus, les attaques incessantes des élémentaires et la présence insistante de sectateurs fanatiques laissaient les gens sur les nerfs et la tension était palpable dans la cité. Mais même cela ne perturbait pas outre mesure l'elfe.

Comme à son habitude, elle était installée à l'auberge du centre ville, la plus fréquentée et par là même la plus discrète de toutes. Dans sa chambre donnant sur les canaux, assise à une table basse, elle rédigeait quelques lettres courantes. Elle avait avec elle quelques uns de ses familiers, pour lui tenir compagnie. A ses pieds, étalé de tout son long, Ash, le lion noir, ronflait; tout contre lui, Mist, son pendant blanc, quoique plus petit, lui faisait concurrence et dans un coin de la pièce, Corto, le jeune loup, pointait son regard d'ambre sur l'elfe. A part les ronflements des félins, on n'entendait que le crissement de la plume sur le papier.
Soudain, Corto se leva et commença à arpenter la pièce, nez en l'air, donnant des signes évident de nervosité, de plus en plus agité. Sous la table, quasiment au même moment, les lions sortirent de leur torpeur et levèrent la tête en grognant. Et puis le loup s'arrêta au milieu de la pièce et commença à hurler à la mort, un long hululement perçant qui ne cessait pas...

Subitement, un rugissement effrayant se fît entendre, d'une telle puissance qu'il en semblait solide, s'infiltrant dans les corps même pour leur transmettre une terreur sans limite. Le cri résonna dans l'air, emplissant la cité et ses environs d'une chape maudite, avant que la gorge de l'être monstrueux qui l'avait émis ne déverse un flot de flammes sur la ville, enflammant le ciel même qui vira d'un seul coup au rouge sang, tandis que la terre tremblait violemment, menaçant même les lourdes constructions de pierres de la cité qui oscillaient comme de vulgaires châteaux de cartes. Et la mort tomba sur Hurlevent.

Aéllys bondit à la fenêtre, lâchant la plume qu'elle tenait encore en main, figée dans son dernier mouvement. L'encrier s'était renversé, laissant l'encre couler sur la table et goutter au sol, petit à petit, formant une flaque dont personne ne se préoccupait. Au dehors, les gens criaient, hurlaient, courraient en tout sens, tentant qui de retrouver un proche, qui de s'abriter ou de rentrer chez lui. La panique et la peur marquaient les visages tandis que les soldats tentaient de canaliser les civils vers les zones sûres, tout autant inquiets qu'eux. Par delà les canaux, les flammes s'élevaient à l'emplacement du parc, hautes, bruyantes et animées d'une vie propre et, comme elle se penchait, Aéllys aperçut une ombre qui s'élevait du feu et partait vers le sud, rasant la cime de la cathédrale, plongeant dans une ombre lugubre tout ce qui se trouvait sur son chemin avant de disparaître de sa vue.
Tandis que le rugissement se faisait à nouveau entendre au loin, étouffé par les murailles, l'elfe avait couru à la porte, empoignant son épée au fourreau en passant et descendait déjà les marches quatre à quatre, pieds nus, en chemise et pantalon. Ses trois familiers s'étaient engouffrés dans le couloir dès que la porte avait été ouvertes et la précédaient de peu. Arrivée dehors, elle s'arrêta un instant, comme choquée par la vue de la population toute entière poussée dans les rues, souvent en habit de nuit, des visages hébétés, perdus, une ville entière proche de la panique totale. Mais cela ne durerait pas. Cette ville avait de la ressource.

Se frayant un passage comme elle le pouvait, ses familiers sur ses talons, Aéllys remonta les canaux jusqu'à l'emplacement où aurait dû se trouver le parc, quartier habituellement calme et marchand, lieu de rendez vous prisé pour se détendre. Mais au lieu des maisons familières, il n'y avait plus rien... Rien qu'un gigantesque incendie qui se réverbérait dans l'eau des canaux, illuminant le ciel d'un éclat orange et rouge, et une montagne de débris de toute sorte... et derrière cette barrière infranchissable, on pouvait tout juste apercevoir le néant d'un gouffre, comme si le quartier tout entier avait été englouti par quelque monstre qui l'aurait avalé d'un seul coup de mâchoire. A peine entendait-on, par delà les crépitements des flammes, le bruit des vagues de la mer en contrebas qui venaient déjà ramasser de ses eaux sombres les débris des maisons et les restes des murailles. Quelques rares survivants se regroupaient devant les lieux, entourés de passants et de soldats, pleurant et hurlant pour la plupart, choqués, espérant retrouver encore un membre de leur famille surpris par l'attaque. Mais nulle âme qui vive ne serait retrouvée dans les décombres, et les survivants de cette nuit se compteraient en moins d'une dizaine, sur les habitants du quartier...

Au dessus de la cité désormais éveillée, le ciel nocturne en son entier était teinté des lueurs des flammes qui montaient haut vers la lune. La ville venait d'être victime d'une attaque brutale et meurtrière que personne n'avait soupçonné. Alors qu'elle revenait sur ses pas, lentement, sans même sembler voir les gens qui la heurtaient dans leur fuite, Aéllys entendit les rumeurs qui, petit à petit, passaient de l'un à l'autre et qui furent bientôt reprise par tous. Un nom, surtout, était sur toute les lèvres. Un nom sorti des légendes et des mythes mais que l'elfe ne connaissait que trop bien pour avoir grandi parmi de telles histoires.

«Aile de Mort, c'est Aile de Mort!»

C'était impossible. L'aspect Dragon, Neltharion, celui qui avait failli amener le monde à sa perte, celui qui était plus fort que tous les autres aspects réunis, avait été vaincu par tout ce que l'histoire pouvait compter de héros. Ce ne pouvait pas être lui. Ca ne devait pas être lui! Cette seule idée et les souvenirs des histoires de son enfance firent trembler l'elfe. Et si c'était le cas, que faire désormais..?