Aéllys

Souvenirs II: Mercenaire.

L’odeur du sang, âcre et qui prend à la gorge… Elle se mêle à l’odeur de poudre et de terre sèche. Odeurs familières… En contrebas, c’est la boucherie. J’entends les bruits des armes qui s’entrechoquent, des os qui se brisent, les hurlements des blessés et les râles des montures qui s’effondrent, mortellement touchées ; de temps en temps, un ordre bref s’élève au dessus de la mêlée, tentant de regrouper les troupes, dans un élan désespéré.

Ils vont venir… Autour de moi, partout où mon regard se pose, la tension est palpable. Hommes et femmes, de toutes les races et de tous les âges confondus, réunis pour une seule chose : se battre.  Tous les étendards sont présents : forces de l’Alliance, mercenaires, aventuriers sans maître… Chacun se bat pour sa raison propre ; la gloire, l’honneur, l’argent ou le plaisir du combat à mort…
Dans ma main droite, je peux sentir la présence rassurante de mon arc ; de la main gauche, je retiens fermement le collier en cuir brodé de mon familier, mon loyal lion noir, Ash. Pas encore… Attends un peu, pas maintenant…
Je les entends, ils se regroupent au bas de la colline ; ils s’élancent… L’élan de leurs montures fait trembler le sol. « ATTENTION ! ILS ARRIVENT !! » Je hurle. Tous, nous nous mettons en position, chacun sait ce qu’il a à faire ; ils n’auront pas cette colline…

Ils débouchent en haut du chemin, hurlants, grimaçants, brandissant leurs armes, leur armure rougeoyante de sang… Maintenant ! Je lâche le collier, Ash bondis, les crocs dehors ; je choisi ma cible, bande mon arc… La bataille fait rage, les combattants se mélangent, les corps tombent à terre... Un cri : « ILS NOUS DEBORDENT ! A DROITE ! A DROITE ! » Non ! Ils nous prennent à revers ! Un coup d’œil rapide derrière moi… guerrier ! Comment j’ai fait pour ne pas le voir ?! Il se rue sur moi, sa masse levée, ses yeux emplis de haine… J’esquive ! Pas assez vite… Je sens un choc, il m’a touchée, mes jambes se dérobent, je tombe… Le sol est froid… Un liquide chaud coule sur ma joue… Je tombe… Un puits sans fond, profond, si … profond… … …

… « Maman ? … Maman ! Je suis de retour ! Oh, tu m’attendais, tu as fait des biscuits aux Feuillargents, mes préférés !
 … Oui, moi aussi, je suis contente de te voir !
… Oh ça, des cicatrices, des petites blessures… Je me suis battue tu sais, souvent. Mais tu a vu, je me suis musclée, et j’ai vu tant de choses !
… Oui, des amis aussi, et j’ai visité les continents, et aussi… j’ai vu l’Outreterre. Tu sais, ce continent hors des frontières terrestres… Maman ? Je crois que ce monde n’a plus d’avenir… Dehors, ils se battent comme des fauves, ils ne pensent qu’à ça. Ils s’entretuent tout le temps pour des raisons tellement futiles, au lieu de se regrouper contre l’ennemi commun… Ca me dégoûte.
… Oh, moi ? Non, je ne suis pas dans l’armée. Je m’en fiche de tout ça, maintenant. Je suis désolée, tu ne m’as pas élevée pour ça, mais… je suis mercenaire, je me bats pour de l’argent, je vends mes armes à qui en a besoin, n’importe qui…
… Non, je ne peux plus revenir vivre avec toi, pas avec tout ce que j’ai découvert, c’est bien trop tard. Je ne me fais plus d’espoir, tu comprends ? Je ne peux pas oublier non plus… Ma vie est là-bas désormais !
… Je savais que tu comprendrais. Oui, comme papa, je vais continuer à aller de l’avant, sans savoir où… mais j’y vais. Hé ? Dehors ? Qu’est-ce que… Il me pleut dessus ? C’est mouillé, non arrêtez, je vais être trempée, non… non ! »

… *murmure* « Non… arrêtez… ça mouille… hé… que » Ma main, en passant devant mon visage, agrippe quelque chose… Des poils ? J’ouvre lentement les yeux ; Ash est au dessus de moi, il me lèche le visage, me pousse du museau. J’arrive à le repousser ; tout mon corps me fait mal. Je passe la main sur mon visage… rouge de sang. Il ne m’a pas loupé l’autre... Je reste un moment à terre, pour reprendre mes esprits. J’ai rêvé ? J’ai un sentiment bizarre… Le bruit a cessé, tout est calme ; même les oiseaux sont muets. Je repousse les cadavres qui m’environnent, tente de me relever mais je n’arrive qu’à m’asseoir. Je siffle ma monture ; Lyr, ma tigresse, arrive en trottinant. Elle était à l’abri et n’a rien eu. Je la fais se coucher et monte sur son dos. Rien de cassé, je m’en suis sortie, que demander de mieux ; Ash boîte un peu. Brave bête. Je regarde autour de moi, le crépuscule tombe sur un spectacle de mort et de désolation ; aussi loin que ma vue puisse porter, c’est une mer de cadavre ; le sol est rouge de sang, les étendards de bataille, si fier ce midi, gisent misérablement à terre. Qui a gagné ? Qui a perdu ? Quelle importance… Je me mets en route ; il me faut retrouver notre campement, ils doivent me croire morte. Rassurer les chefs. Aller retirer ma prime. Soigner tout ça… Demain est autre jour, un autre combat. Pour qui vais-je me battre ? Pour quelle « glorieuse » raison ? Peu m’importe. Survivre… C’est tout ce qui importe