Liz

Memories 03 / 12 ans :

Cela faisait bien longtemps que la boîte aux trésors de la petite fille avait été enterrée sous le noisetier du jardin, les petits cadavres retournés à la poussière. Nulle créature sortie du néant ne venait plus couiner et sautiller à ses pieds, l’étrange magie qu’il lui avait été donné semblait se refuser à elle désormais, comme chassée par le temps qui passe et fait de l’enfant, peu à peu, une femme. Elle avait été jusqu’à oublier les souvenirs même de ces temps de jeux étranges. D’autres préoccupations avaient pris leur place désormais. La jeune fille aux cheveux de feu aidait aux champs, à la cuisine, au ménage, à la boucherie et, lorsqu’il lui restait encore quelques heures de libre, grâce lui était donnée d’aller à l’école. Autant dire que c’était rare lorsque les champs nécessitent le plus de petites mains. Elle ne se plaignait pas pourtant, ne montrant que bonne motivation et entrain. Quelques corrections bien senties avaient vite fait de lui apprendre l’obéissance dès ses premières réticences et son beau-père, en matière d’éducation, avait la main leste. Elle était devenue un modèle parfait d’enfant de bonne famille campagnarde.

« Elisabeth ! » La voix gronda comme un roulement de tonnerre sous le plafond bas de la cuisine tandis que le poing heurtait violemment le plateau de la table en chêne. « Elize, je t’en prie, ne fais pas attendre ton beau-père… » La seconde voix, fluette et fragile à tel point qu’elle semblait vouloir s’éteindre après chaque mot, accompagnait l’arrivée de la jeune fille dans la pièce. Son regard d’un vert vif ne laissait rien voir d’une émotion quelconque, ses lèvres pincées tremblaient un peu en prévision de la suite à laquelle elle semblait s’attendre, comme si cette situation était habituelle et connue. La main qui se leva et balaya l’air envoya la fille au sol, mais elle ne pleurnicha pas, ne lâcha pas un mot, pas une plainte, se relevant même pour faire face à l’homme qui lui laissa à peine le temps de se redresser avant de refaire le geste dans l’autre sens. A nouveau, elle tomba au sol. « Tu ne mangeras pas tant que tout ne sera pas terminé ! Tu as bâclé ton travail aujourd’hui, Elisabeth ! Je suis très, très mécontent ! » L’homme se dressait au-dessus de la jeune fille, déroulant son ceinturon entre ses mains, laissant la lanière s’abattre sur son dos une fois, deux fois, trois fois avant de cesser. Reculée contre la cuisinière, la mère regardait le sol, ses épaules tremblant de concert aux claquements du cuir sur le dos de sa fille. En bonne femme soumise, elle attendît patiemment que son mari ait passé sa colère sur l’enfant avant de rapidement débarrasser la table, sans un mot, sans un regard. Au sol, la fille sanglotait en silence, secouée de frissons incontrôlés.

La porte de la chambre grinça en s’ouvrant lentement, une ombre entra, indistincte dans l’obscurité ambiante, et le claquement de la porte qui se referme se fît entendre. Des pas lourds, puis le rebord du lit plia sous le poids de l’adulte qui venait de s’y assoir. Un chuchotement brisa le silence, une voix d’homme, basse. « Je suis désolé, Elisabeth. Vraiment. Mais tu comprends, c’est pour ton bien, ton éducation… Tu ne m’en veux pas, n’est-ce pas. Elisabeth ? ». Sous la couverture, la fille ne bougeait pas, elle fixait l’obscurité de ses yeux grands ouverts, sa respiration lente comme seule preuve de vie. La voix repris. « Je suis très triste d’avoir dû de te donner cette correction, tu comprends. Très, très triste. » La couverture fût tirée en arrière, dévoilant le corps maigre de l’enfant dans sa chemise de nuit. Elle ne bougea pas plus quand la main se posa sur son épaule. « Mais tu sais comment te faire pardonner, n’est-ce pas ? Je suis sûr que tu me décevras plus. » Sous l’injonction de la main, la fille se tourna sur le dos, fixant la vague silhouette de son beau-père à ses côtés. « Tu veux être une bonne fille, n’est-ce pas, Elisabeth ? » Cette fois, le ton portait une question à laquelle elle répondit d’un léger signe de tête qui resta invisible. « N’est-ce pas ? » Le ton haussa un peu, un ordre teinté de menace cette fois. La fille articula un « Oui, père… » presque inaudible. « Brave fille. » Le lit grinça sous le poids de l’homme désormais agenouillé au-dessus d’elle ; deux mains vinrent relever sa chemise, lui retirer sans qu’elle n’y oppose le moindre geste ; suivirent le bruit d’une ceinture qu’on ouvre, d’habits qu’on dégrafe. Elisabeth ne bougeait pas ; elle ne crierait pas, ne résisterait pas plus. Elle fixa le plafond invisible et attendit la suite, soumise et obéissante comme toute fille doit l’être à son père.