Liz

Memories 02 / 8 ans :

Le lent cortège se déroulait à travers le village abruti par la chaleur de fin d’été. En tête, sur un char tiré par deux chevaux fatigués, reposait le cercueil. Très simple, en sapin, sans ornement ni poignées, la grande boîte brinquebalait au rythme des ornières. Derrière, très digne, une femme grande et mince avec de longs cheveux auburn tenait deux enfants par la main ; un garçon qui était encore un tout jeune enfant, 5 ans à estimer, aux cheveux châtains coupés en brosse, regardant autour de lui d’une mine curieuse sans avoir l’air de comprendre réellement ce qu’il faisait là et une fillette qui, malgré sa taille, ne devait pas avoir plus de 8 ans. Elle avait une longue tresse d’un roux éclatant et son petit visage avait un air grave et sérieux qui contrastait avec celui plus insouciant du garçon. Au même niveau se tenait encore un autre garçon, presque un adolescent déjà, à la chevelure du même roux que la fillette et qui, visiblement, retenait ses larmes en fixant le cercueil. Derrière le groupe de tête, une multitude de gens aux visages montrant toute une palette d’expression allant de la sincère compassion à une tristesse intense en passant par la sympathie et puis, dans les derniers, une politesse froide de circonstance. Tout un village en habits des grands jours, paysans, artisans, notables, famille et amis qui étaient là pour rendre hommage à un des leurs. C’était le forgeron du village qu’on enterrait en ce jour, homme important s’il en est pour toute la communauté et qui laissait derrière lui une veuve éplorée et ses 3 enfants.

La cérémonie fût brève et très simple. Les six furent loués pour les bienfaits offerts au défunt de son vivant et leur bienveillance demandée pour ceux qui restaient. Après quoi, on inhuma le cercueil et chacun passa devant la famille, leur prodiguant quelques mots de sympathie, un regard ou un sourire compatissant. Pour certains, c’était l’occasion de se retrouver et de discuter jusqu’à la tombée du jour des affaires du village et de commérer en regrettant que Grenth ait voulu rappeler si tôt cet homme tant apprécié ; et alors que les derniers rentraient chez eux en laissant la famille seule à son chagrin, un homme resta en arrière, un homme qui n’avait pas manqué d’exprimer ses profonds regrets à la récente veuve en l’assurant de toute sa sympathie en toute circonstances. Petit et massif, il avait tout du taureau dans sa stature, y compris la musculature impressionnante que son costume étriqué parvenait tout juste à contenir. Son regard bleu froid avait eu bien du mal à se détacher de la veuve et nombreux furent ceux qui, dans son dos, se gaussaient et se moquaient. Tout le village savait qu’il avait toujours eu des vues sur la veuve ; désormais, l’horizon dégagé lui permettait une approche directe qu’un reste de décence lui fît attendre 1 mois avant d’entamer.

10 mois plus tard. La petite chapelle du village célébrait une nouvelle cérémonie pour la famille du forgeron défunt. Au premier rang, les 3 enfants n’avaient pourtant pas l’air beaucoup plus joyeux qu’à l’enterrement de leur père. Plus curieux que réellement heureux, ils assistaient au remariage de leur mère avec cet homme, enfant du village lui aussi, paysan et boucher, que tout le monde félicitait de son dévouement et de son acte louable, lui qui avait été prêt à s’engager avec une femme qui avait déjà trois enfant, la sauvant par là même de bien des difficultés financière et de l’opprobre public. Les choses rentraient dans un ordre bien établi, les orphelins avaient à nouveau un père dévoué et une famille stable. Les commères pouvaient se tourner vers d’autres centres d’intérêt, la vie du village continuait son déroulement immuable dans son petit coin de campagne de Kessex.